Lettres urgentes à Paris
à la fin du XIXème siècle


          Le 25 mai 1863, afin de permettre aux commerçants du centre de Paris de bénéficier, pour leur courrier du soir, d'un délai supplémentaire de trente minutes après la levée ordinaire précédant le départ des bureaux ambulants, l'Administration des postes inaugure le service des levées exceptionnelles. Dans une douzaine de bureaux de quartiers, ainsi qu'à l'Hôtel-des-Postes, les lettres déposées après l'heure de la sixième levée sont admises, dans des délais déterminés, et moyennant une taxe supplémentaire, à profiter du plus prochain départ (loi du 9 mai 1863). Ce système, étendu par la suite à tous les bureaux parisiens, fonctionne sans modifications pendant plus de deux décennies, malgré un coût de surtaxe assez élevé pour un gain de temps relativement limité [1]. Dans ces conditions, on comprend aisément que des services alternatifs privés se soient mis en place dès 1885 au moins, des coursiers cyclistes concurrençant le service postal officiel en proposant des envois plus tardifs à moindre coût [2]. Une première réaction de l'Administration se produit en 1887 par l'alignement de sa surtaxe sur celle de quinze centimes pratiquée par les agences privées et par l'adoption d'un délai unique, bien que sans changement de l'horaire limite (loi du 16 mars 1887). Les agences ripostent immédiatement en abaissant le tarif de leur service à cinq centimes.


Deuxième délai, affranchissement 15 c., surtaxe 40 c.

          L'expérience de la place de la Bourse

          Il faut attendre le mois d'avril 1892 pour voir la mise en place d'un service officiel de levées tardives équivalent à celui des agences privées. "En vue de donner aux commerçants de Paris, pour l'expédition de leurs correspondances en dernière heure, des facilités au moins égales à celles qu'ils peuvent trouver aujourd'hui dans les services spéciaux organisés par certaines agences, l'Administration a projeté d'établir elle-même dans les principaux bureaux de la Capitale en commençant, à titre d'expérience, par celui de la place de la Bourse, des services analogues dont l'exécution, pour être rapide et peu coûteuse, sera confiée à des vélocipédistes, et de préférence à des sous-agents." [3] Un ordre de service daté du 27 avril 1892 établit à partir du 2 mai suivant un service spécial entre le bureau de la place de la Bourse et les gares de Paris pour l'expédition des lettres en dernière heure. Ce service comprend cinq courses effectuées par des agents ou sous-agents cyclistes de l'Administration des postes :
      - pour les gares d'Orléans et de Lyon, première course entre sept heures cinq, sept heures trente (Orléans) et sept heures trente-six (Lyon) ;
      - pour la gare Montparnasse, entre sept heures vingt-cinq et sept heures quarante-cinq ;
      - pour la gare Saint-Lazare, entre sept heures quarante-cinq et sept heures cinquante-cinq ;
      - pour les gares du Nord et de l'Est, entre sept heures quarante-cinq, huit heures (Nord) et huit heures dix (Est) ;
      - pour les gares d'Orléans et de Lyon, deuxième course entre sept heures quarante-cinq, huit heures dix (Orléans) et huit heures seize (Lyon).

          Le service est quotidien, sauf les dimanches et jours fériés, moyennant le paiement par l'usager de la taxe supplémentaire de quinze centimes prévue par la loi de mars 1887. En conséquence, à partir du mois de mai 1892, les levées du bureau 1 pour les ambulants du soir s'échelonnent entre six heures pour la septième levée ordinaire, six heures trente pour la levée exceptionnelle générale, sept heures du soir pour les départs vers Pontarlier, Le Creusot, Clermont-Ferrand, Toulouse et Agen, sept heures vingt pour Niort, Angers, Brest et Granville et sept heures quarante pour toutes les autres lignes. Les vélocipédistes, propriétaires de leur machine et portant les dépêches dans une sacoche fournie par l'Administration, sont attendus aux gares par des sous-agents du service des ambulants, au bec-de-gaz étiqueté n° 9 derrière l'hôtel Terminus de Saint-Lazare, au fond de la cour du départ de la gare du Nord, près de la boîte aux lettres devant la salle des pas-perdus de la ligne de Mulhouse, dans la cour d'arrivée de la ligne de Versailles, dans la cour de la Direction de la ligne d'Orléans et au siège de la Direction de la ligne de Lyon. Au cas où un cycliste viendrait à faire défaut, une voiture de place se tient prête devant le bureau de la Bourse pour le remplacer au pied levé.

          L'extension du service

          Il est probable que les résultats de l'expérience menée depuis le début du mois de mai furent satisfaisants, puisque dès le 16 août suivant, on assiste à une extension du service des lettres urgentes à plusieurs autres bureaux parisiens. Trois levées supplémentaires surtaxées à quinze centimes s'effectuent à l'Hôtel-des-Postes et au bureau de la Bourse à sept heures (pour Pontarlier, Toulouse, Agen), à sept heures vingt (pour Clermont-Ferrand, Le Creusot, Niort, Brest, Angers, Granville, Cherbourg) et à sept heures quarante (pour les autres lignes), deux levées ont lieu aux bureaux 11-Opéra, 16- Réaumur, 17-Halles, 24-Cléry, 49-Ventadour et 50-Saint-Denis à six heures quarante-cinq (pour Pontarlier, Toulouse, Agen) et sept heures du soir (pour les autres lignes) [4].


Bulletin de la Chambre syndicale du commerce et de l'industrie
des tissus et des matières textiles
, 25 mai 1893

          Une décision de la direction générale des postes et des télégraphes, prise le 22 mars 1893, détaille l'organisation des lignes de cyclistes desservant les gares, porteurs du courrier surtaxé de dernière minute [5]. Applicable à partir du 17 avril suivant, elle met en place neuf nouvelles courses qui évoquent les lignes de passe en fonction à Paris depuis novembre 1865 :
      - du bureau 22 pour les gares du Nord et de l'Est, par les bureaux 51, 2 et 83 ;
      - du bureau 22 pour la gare Saint-Lazare, par les bureaux 51, 2 et 83 ;
      - du bureau  4 pour les gares de Lyon et Orléans, par les bureaux 48, 83 et 5, premier envoi ;
      - du bureau  4 pour les gares de Lyon et Orléans, par les bureaux 48, 83 et 5, deuxième envoi ;
      - du bureau 88 pour la gare Montparnasse, par le bureau 5 ;
      - du bureau 88 pour la gare Saint-Lazare, par le bureau 5 ;
      - du bureau 39 pour les gares du Nord et de l'Est, par les bureaux 46 et 5 ;
      - du bureau 87 pour les gares du Nord et de l'Est, par les bureaux 36, 19 et 5 ;
      - du bureau 83 pour la gare Montparnasse, par le bureau 1.

          Les courses déjà existantes ne sont pas évoquées et restent, a priori, sans changement. De même, les nouvelles levées supplémentaires payantes instaurées quelques semaines plus tard complètent le dispositif sans qu'il soit question de modifications du système en place [6]


Journal officiel, 13 juillet 1893

          Huit bureaux s'ajouteront encore au service à la fin de l'année 1893 [7], portant à quarante-trois, sans compter l'Hôtel-des-Postes, le nombre d'officines du centre de Paris pratiquant ces levées supplémentaires surtaxées de dernière minute.


Journal officiel, 10 décembre 1893

          Le tarif de 1895 et la généralisation

          Dès l'origine du projet, au début de 1892, M. de Teissier de Marguerittes, directeur des postes et télégraphes de la Seine, faisait observer qu'en raison de la modicité de la rémunération dont se contentent les agences, le public continuerait à leur donner la préférence si l'on abaissait pas préalablement de 15 à 5 centimes la taxe supplémentaire fixée par la loi du 16 mars 1887 pour les lettres appellées à bénéficier des levées exceptionnelles. Ce n'est que trois ans plus tard que les législateurs mettront cette question au centre du débat. Un rapport présenté aux députés par la commission chargée d'examiner le projet de loi portant abaissement de la taxe supplémentaire établie sur les lettres expédiées après les levées générales [8] conclut que pour donner satisfaction au monde des affaires pour l'expédition des lettres après les levées générales, il reste à abaisser le montant de la taxe supplémentaire, ce qui sera fait par la loi du 27 décembre 1895. Le service des lettres urgentes est alors élargi à l'ensemble des bureaux parisiens. L'annuaire-almanach du commerce, de l'industrie, de la magistrature et de l'administration Didot-Bottin pour 1896 nous donne une liste de soixante-neuf bureau bénéficiant d'au moins une levée supplémentaire surtaxée, à laquelle s'ajoutent des bureaux non désignés. Ce total est porté à quatre-vingt-dix bureaux de quartiers désignés en 1898, plus les bureaux non- désignés. Dans ces derniers, très excentrés, la septième levée générale s'effectue à cinq heures quinze du soir, la levée exceptionnelle trente minutes plus tard, et la levée unique pour les lettres urgentes à six heures pour toutes les lignes.


Didot-Bottin 1898

          Le timbrage

          Dès 1863, les bureaux de quartiers de Paris pratiquant les levées exceptionnelles ont été dotés de timbres à dates spéciaux, généralement de forme octogonale, portant l'indication du délai en levée, sous la forme d'un chiffre "1" ou "2" suivant la lettre "E". Ce type de timbre a été adopté pour les levées supplémentaires des lettres urgentes à partir de 1892, avec des indications de délai "2" et plus, selon le nombre de lignes desservant les bureaux.


Deuxième échelon de poids, troisième délai

          Une circulaire datée du 4 juin 1901 parue dans le bulletin mensuel des P.&T. décide de la substitution de l'heure au numéro de la levée dans tous les timbres à date utilisés pour le service postal. L'application en est faite, en conséquence, pour les levées des lettres urgentes, qui restent toutefois immédiatement identifiables, après cette date, par la forme du timbre à date et la présence de l'affranchissement supplémentaire.

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Notes
[1] En 1884, par exemple, le dernier délai de levée exceptionnelle est fixé à 6 heures trente du soir dans certains bureaux de quartiers, alors que la plupart des trains quittent les gares après 8 heures. La surtaxe de deuxième délai est fixée à quarante centimes, pour un tarif de la lettre ordinaire à quinze centimes. [up]
[2] Le courrier de la dernière minute, services supplémentaires, levées exceptionnelles et agences privées à Paris au XIXème siècle, Jean-François Estel, Documents Philatéliques n° 243. [up]
[3] Note du 11 avril 1892, D.G.P.T.&T., Exploitation postale, Bureau de la Correspondance intérieure (A.N.) [up]
[4] La Lanterne, 30 juillet 1892. [up]
[5] Ampliation de la décision du 22 mars 1893, D.G.P.T.&T., Personnel, pour la Correspondance intérieure (A.N.) [up]
[6] Journal officiel du 13 juillet 1893. [up]
[7] Journal officiel du 10 décembre 1893. [up]
[8] Chambre des Députés, n° 1610, annexe au P.V. de la séance du 16 novembre 1895. [up]


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