Un convoyeur-facteur
à Saint-Eloy-les-Mines en 1875 ?


      Vers 1860, l’exploitation du site minier de La Vernade, au nord-est de Saint-Eloy-les-Mines, souffre de difficultés de transport et de débouchés dues à l’enclavement de la région des Combrailles, dans le nord du département du Puy-de-Dôme. Aussi, lorsqu’elle apprend qu’une ligne de chemin de fer projettant de relier Gannat à Commentry, dans le département voisin de l’Allier, doit passer par le village de Lapeyrouse, situé à seulement une dizaine de kilomètres de ses puits, la Compagnie des Mines de La Roche et de La Vernade s’empresse de solliciter la réalisation d’un embranchement ferroviaire.


Nouvelle carte routière du Lyonnais et du Puy-de-Dôme, Guyot, 1897. La voie ferrée Gannat-Commentry figure en trait plein noir.

      Par décret du 22 octobre 1862, elle devient concessionnaire de la voie ferrée destinée à desservir le bassin houiller [1], et elle prend pour l’occasion le nom de Compagnie anonyme des Houillères et du Chemin de Fer de Saint-Eloy. Dès l’année suivante, alors que les trains ne circulent pas encore, les habitants de la région demandent à ce qu’une gare de voyageurs soit établie à La Vernade, celle de Lapeyrouse existant déjà. L’ouverture de la ligne au service minier a lieu à la fin de 1865, et si l’on voit une gare figurer sur une vue du bassin de La Vernade en 1868, elle doit être réservée à l’exploitation du charbon. La ligne sera rachetée par l’État en 1869 [2], pour être rétrocédée à la Compagnie du chemin de fer de Paris à Orléans.


Vue générale du bassin houiller de Saint-Eloi (extrait), Lemercier, 1868.

      En juin 1871, la ligne jusqu’ici exclusivement réservée à l’exploitation minière est ouverte au public, une gare de voyageurs étant construite entre le hameau de la Vernade et le bourg de Saint-Eloy (actuelle avenue Aristide-Briand). Cette gare (tout comme celle de Lapeyrouse) est ouverte à la correspondance télégraphique privée dès 1872. Un entreposeur y est installé, en relation avec la recette simple de Montaigut-en-Combraille, à quelques kilomètres plus au nord, lequel fait suivre leurs dépêches aux recettes de Pionsat et de Saint-Maurice-de-Pionsat. L’entreposeur de Saint-Eloy est aussi chargé d’échanger les dépêches avec un courrier d’entreprise desservant les recettes de Saint-Gervais-d’Auvergne et de Menat [3]. Nous pouvons supposer qu’une boîte mobile a été placée à la gare [4]. A cette époque, en 1871/1872, il n'y a pas de bureau de poste à Saint-Eloy, mais seulement une boîte rurale, desservie par un facteur venant de Montaigut.


La gare de Saint-Eloy-les-Mines au début du XXème siècle.
Le bâtiment bas jouxtant la gare a pu abriter l'entreposeur.

      Dès 1872, les élus du Conseil général du Puy-de-Dôme émettent le vœu qu’un facteur-boîtier soit établi à la station de Lapeyrouse, et "qu’un courrier-convoyeur prenne à cette station les dépêches à la destination de Saint-Eloy pour en opérer la distribution à son arrivée sur ce point. [5]" L’administration répond négativement à la création d’établissements postaux à Lapeyrouse et à Saint-Eloy, pour des raisons de budget ou de proximité avec Montaigut-en-Combrailles, et ne répond pas au sujet de la distribution du courrier. Comme à l’accoutumée, les réponses négatives de l’administration aux vœux des conseillers entraînent la réitération de ces demandes l’année suivante, et ainsi de suite jusqu’à ce que l’une des deux parties finisse par céder. C’est ainsi qu’au début de 1876, si la réponse au sujet de l’établissement d’un facteur-receveur est toujours négative, il est signalé aux conseillers généraux que "l’administration a pris l’initiative de la création d’un service de distribution à Saint-Eloy. [6]" Il est précisé que depuis le mois d’octobre 1875 "une première distribution a lieu dans la commune de Saint-Eloy, canton de Montaigut, à huit heures vingt-deux du matin, et immédiatement après l’arrivée du train." Nous pouvons supposer qu'en réponse au vœu de 1872, c’est le courrier-convoyeur auxiliaire qui effectue la distribution du courrier, même si ce n’est pas explicitement exprimé.

      Il faut attendre l'année suivante pour obtenir plus de détails sur ce service de distribution. Les conseillers généraux apprennent alors que "le courrier-convoyeur auxiliaire de Lapeyrouse à Saint-Eloy reçoit directement du bureau ambulant une dépêche renfermant les correspondances (distribuables dans la commune même) affranchies et les paquets contre-signés à destination de Saint-Eloy ; lève à son arrivée la boîte pour en extraire les correspondances distribuables dans la commune même ; effectue la distribution à Saint-Eloy, opère à six heures du soir une deuxième levée de la boîte dont il extrait les correspondances pour toute la France, moins Pionsat, Saint-Maurice-de-Pionsat, Montaigut et son arrondissement rural. Cette organisation a lieu sans préjudice de la distribution et de la levée de boîte effectuées par le facteur rural expédié du bureau de Montaigut. [7]" Nous n’avons vu aucun autre document permettant de préciser plus exactement les détails de ce service (inédit ?) de convoyeur-facteur.

      Un courrier-convoyeur auxiliaire est chargé de l’accompagnement des dépêches sur les chemins de fer, il peut être aussi chargé du service des boîtes aux lettres mobiles, ainsi que d'un travail de manipulation, selon les termes de l’intruction générale de 1876 (art. 1263). Si l'on se réfère au rapport du Conseil général de 1877, le service ferroviaire de notre sous-agent est limité à la seule ligne de Lapeyrouse à Saint-Eloy. Nous ne connaissons aucune marque postale frappée par un agent en service sur cette ligne, pas plus d'ailleurs que sur celle de Gannat à Commentry durant les années qui nous occupent. Nous savons que la journée du convoyeur de Lapeyrouse à Saint-Eloy commence par la réception, "directement du bureau ambulant" des dépêches renfermant les correspondances qu’il doit distribuer à Saint-Eloy. Il n’y aura pas de bureau ambulant circulant sur la ligne entre Gannat et Montluçon avant 1880, c'est donc certainement un convoyeur parti de Gannat pour Commentry par le train de cinq heures dix du matin qui apporte en gare de Lapeyrouse les dépêches directes pour Saint-Eloy, confectionnées dans la nuit par les bureaux ambulants montant de Clermont-Ferrand et descendant de Paris [8]. Il est probable qu'elles sont accompagnées par les dépêches à destination des recettes de Montaigut, Pionsat, Saint-Maurice, Saint-Gervais et Menat qui devront être remises à l’entreposeur en gare de Saint-Eloy, destinées soit au courrier pour Montaigut, soit au courrier d'entreprise opérant la desserte des Combrailles [9].


Relevé par département du nombre de communes et autres localités ayant une appellation propre en France,
d'après le résultat de l'enquête générale faite au mois de novembre 1847,
Adm. des postes, Tulle, Corrèze.
Les boîtes rurales sont posées au centre de ces deux villages de Corrèze, sur la maison du maire ou à l'église.

      Plusieurs trains circulent quotidiennement entre Lapeyrouse et Saint-Eloy [10], trains de marchandises pour le service minier, auxquels l'adjonction d'un wagon de voyageurs fait attribuer le qualificatif de train mixte, et la présence du convoyeur à bord du train mixte celui de train-poste. A bord du train-poste du matin en direction de Saint-Eloy, le convoyeur commence très vraisemblablement le tri de sa tournée. Arrivé sur place vers huit heures vingt-deux du matin, nous dit le rapport du Conseil général, son premier soin est de remettre ses dépêches à l'entreposeur, avant d'aller faire le tri de la boîte rurale, n'y prélevant que le courrier destiné à Saint-Eloy (et même probablement uniquement le courrier affranchi), et laissant le reste pour le facteur rural venant de Montaigut. Cette boîte était fixée sur le mur extérieur d'un bâtiment du village, facilement accessible au public (ce pouvait être la mairie, ou l'église, voir l'illustration ci-dessus). La question se pose de savoir comment le convoyeur annulait les affranchissements des lettres levées dans la boîte rurale, soit par l'empreinte de la lettre-timbre de cette boîte, soit avec une marque d'origine rurale ou locale qu'il aurait détenue. De même, nous ignorons s'il disposait d'un part lui permettant d'inscrire le nombre de lettres recueillies et distribuées.

      Le convoyeur, devenu facteur urbain, effectue ensuite sa tournée dans le ressort de la commune de Saint-Eloy. Quelles peuvent être ses occupations une fois qu'il a terminé sa distribution, nous ne le savons pas, et nous ne le retrouvons qu'à dix-huit heures, lorsqu'il lève la boîte rurale une deuxième fois. Il en opère à nouveau le tri, n'en retirant que les correspondances devant quitter la commune en direction d'un bureau ambulant ou par un courrier d'entreprise, c'est à dire par l'intermédiaire de l'entreposeur en gare. Le convoyeur revient alors à la gare, pour remettre le produit de sa levée à l'entreposeur. Le convoyeur auxilliaire n'étant certainement pas habilité à former des dépêches, c'est plus logiquement l'entreposeur qui se charge de cette tâche.

      Les dépêches à destination des bureaux ambulants une fois closes, elles sont remises par l'entreposeur au courrier convoyeur auxiliaire, qui redescend jusqu'à Lapeyrouse par le train-poste du soir, les dites dépêches étant ensuite confiées au convoyeur de passage se dirigeant vers Gannat. Il est probable que ce service de distribution particulier ne sera pas prolongé au-delà de la fin de 1883, après la création d'une recette simple des postes à Saint-Eloy-les-Mines (décision du 23 août 1883, bulletin annexe des P. & T. n° 9).


[1] Procès verbal des opérations du Conseil général du Puy-de-Dôme, Clermont-Ferrand, 1863. [up]
[2] Décret n° 16747 du 27 mars 1869. [up]
[3] Conseil général du Puy-de-Dôme 1873-04. Avant l’ouverture du chemin de fer au public, tous ces bureaux étaient desservis par des courriers d'entreprise circulant entre Clermont-Ferrand et Montluçon. L’entreposeur est doté d’un dateur spécifique GARE DE ST-ELOY et d’un ovale BM dès 1872, au moins. [up]
[4] La station de Lapeyrouse, située sur la ligne de Gannat à Montluçon, ne sera équipée d’une boîte mobile qu’à partir de 1879, Conseil général du Puy-de-Dôme 1879-08. [up]
[5] Conseil général du Puy-de-Dôme 1873-08. L'idée du "convoyeur-facteur" est lancée à ce moment. [up]
[6] Conseil général du Puy-de-Dôme 1876. [up]
[7] Conseil général du Puy-de-Dôme 1877-08. [up]
[8] Conseil général du Puy-de-Dôme 1871. [up]
[9] En 1881, deux courriers Saint-Eloy à Menat et Saint-Eloy à Saint-Gervais remplacent le courrier Saint-Eloy à Saint-Gervais par Menat. Conseil général du Puy-de-Dôme 1881-08. [up]
[10] Six trains circulent dans chaque sens en 1881. Un treizième service quotidien est créé en juin 1881 pour réduire le temps d'attente pour la correspondance de Gannat en gare de Lapeyrouse. Conseil général du Puy-de-Dôme 1881-08. [up]

De Saint-Eloy à Lalizolle
via le bureau ambulant de Paris


Carte postale traitée par l'entreposeur de la gare de Saint-Eloy-les-Mines.
Le timbre-poste est ensuite annulé par le bureau ambulant Clermont à Paris.

      Cette carte postale, tenant lieu de bon de livraison pour dix tonnes de charbon destinées à la Société des Kaolins de la forêt des Colettes, entre Gannat et Montaigut-en-Combrailles, a été écrite le 19 décembre 1875 à la direction de l'exploitation des Houillères de Saint-Eloy. Elle a été mise sous dépêche par l'entreposeur en gare de Saint-Eloy, pour le bureau ambulant Clermont-Fd à Paris en gare de Gannat, avec un possible aller et retour par Saint-Germain-des-Fossés. Ce bureau ambulant était en correspondance directe avec le bureau de Lalizolle, par l'intermédiaire d'un courrier d'entreprise.


B.M.A.P. n° 57, mai 1860


B.M.A.P. n° 99, novembre 1863

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