Lettre-avion pour un bureau flottant
de Haïphong à Djibouti en 1939

     Jusqu'au début des années trente, la ligne d'Extrême-Orient des Messageries Maritimes reste le principal moyen d'acheminement du courrier d'Indochine vers la France, ses colonies, et les nations occidentales. Les paquebots-poste parcourent en un peu plus d'un mois un itinéraire les menant du Japon à Marseille, en passant par Kobé, Shanghaï, Hong-Kong, Saigon, Singapour, Colombo, Djibouti et Port-Saïd, les voyages s'échelonnant toutes les deux semaines. Une ligne secondaire, dite postale, mais sans bureaux flottants, partant de Haïphong, emprunte la même route, avec escales supplémentaires à Pondichéry, Madras ou Aden. Enfin, une fois par mois, les navires des Chargeurs Réunis relient Saigon à Marseille par le même itinéraire.

     Dès le début de 1931, une ligne aérienne postale d'abord bimensuelle, puis hebdomadaire en mai 1932, est mise en place par la compagnie Air Union sur le parcours Saigon-Marseille, effectuant le trajet en dix jours environ, par Bangkok, Calcutta, Karachi, Bagdad et Athènes. A Bagdad, une dérivation mène vers Alexandrie et les lignes aériennes d'Afrique Orientale (1).


Bulletin officiel des postes n° 19, 1er juillet 1934

     En 1934, l'Administration des postes juge qu'il peut-être avantageux pour les passagers des paquebots-poste de bénéficier de la voie aérienne pour leurs envois postaux. Un décret du 8 juin 1934 établit les conditions d'utilisation du service et fixe le montant des surtaxes aériennes à payer au départ des escales de Port-Saïd, Colombo, Singapour et Saigon pour un grand nombre de destinations dans le monde, Djibouti n'étant pas, à cette date, desservi par avion, son escale n'est pas concernée par ce décret (2). Ce n'est qu'à la fin de l'année 1935, à la suite de l'ouverture du service régulier de la compagnie Ala Littoria vers la Corne de l'Afrique que l'escale de Djibouti est ouverte au service aérien des bureaux flottants (3). Entre-temps, en février 1935, Air France ouvre une liaison entre Hanoï et Bangkok pour y rejoindre la ligne aérienne de Saïgon à Marseille (4). Dès 1936, il est donc possible de relier le Tonkin à la Côte des Somalis par la voie de l'air. En juillet 1938, la ligne de Saigon est prolongée vers Hanoï, le service devenant hebdomadaire.


Un Savoia-Marchetti 75 postal à Asmara (www.ilcornodafrica.it)

     La lettre présentée ci-dessous a utilisé le procédé inverse de celui concerné par les décret d'août 1934 et décembre 1935. Dans son cas, ce n'est pas le voyageur qui a écrit par avion depuis un bureau flottant, c'est une lettre-avion qui a tenté de rattraper le voyageur d'un paquebot à son escale.


De Haïphong, 15/04/1939 pour Djibouti, puis Jarville (France)

     Elle est remise à la poste à Haïphong (Tonkin) tôt le matin du 15 avril 1939, libellée PAR AVION et affranchie à cinquante-deux centièmes de piastre. Elle est adressée à un sous-officier voyageant à bord du paquebot Chenonceaux, des Messageries Maritimes, à son escale de Djibouti. Elle porte un timbre triangulaire de demande de taxe, et une annotation au crayon bleu demandant la perception d'une taxe de deux francs.


Le Chenonceaux des Messageries Maritimes

     Le Chenonceaux a quitté Marseille le 17 février 1939 pour son voyage aller vers le Japon, qu'il atteint à la fin du mois de mars. Au retour, il ne fait pas escale à Haïphong, mais à Saigon, qu'il quitte le 8 avril en direction de la France. Il est à Djibouti le 23 avril suivant, et arrive à Marseille au tout début du mois de mai (cf. Joany).

     Le dos de la lettre nous renseigne sur les grandes lignes de son parcours. Levée le 15 avril 1939, elle a décollé de Hanoï pour Saigon ce même samedi, jour du départ hebdomadaire de l'avion d'Air France, puis elle est repartie de Saigon le lendemain matin avant d'être reçue à Alexandrie le 20 suivant, avec, semble t'il, un jour de retard. Elle a ensuite probablement suivi la voie aérienne italienne d'Ala Littoria, pour parvenir à Djibouti seulement le 25 avril, après le passage du Chenonceaux, ce qui est souligné par la griffe accompagnant le timbre à date. Redirigée vers Marseille, il lui a alors fallu attendre le passage du paquebot suivant, le Grandidier venant de la Réunion, parvenu à sa destination finale le 13 mai 1939. A Marseille, les autorités disposant sans doute de l'adresse civile du sous-officier, elle a été redirigée vers Jarville-la-Malgrange, en Meurthe-et-Moselle, par la voie ordinaire. Le bureau de distribution a appliqué un chiffre-taxe à deux francs, taxe perçue sur le destinataire le 16 mai 1939, soit un mois et un jour après le départ de Haïphong.


L'Avenir du Tonkin, 17 février 1939

     Il n'est jamais facile de savoir pourquoi un expéditeur applique un affranchissement erroné sur son envoi. Dans notre cas, si l'on considère que le tarif de surface intercolonial est de sept centièmes de piastre pour une lettre de vingt grammes (5), le complément pour la surtaxe aérienne s'élèverait à quarante-cinq centièmes de piastre. Nous n'avons pas pu déterminer à quoi ce montant pouvait correspondre, si ce n'est que cinquante-deux centièmes font l'affranchissement de la lettre-avion recommandée franco-coloniale de cinq grammes. Ce qui est certain, c'est que la surtaxe aérienne pour les lettres adressées du Tonkin aux bureaux flottants à l'escale de Djibouti est, à cette date, de cinquante-cinq centièmes de piastre par cinq grammes (6). Le bureau de Haïphong a donc doublé l'insuffisance de dix centièmes, et l'a convertie en monnaie française au taux légal de 1/10 (7). L'expéditeur n'a pas fait un choix très judicieux pour le routage de sa lettre. Par la voie aérienne directe, elle serait parvenue le 21 avril à Marseille, en six jours, pour y attendre son destinataire, au tarif de trente-sept centièmes de piastre. En passant par Djibouti, il lui a fallu trente-deux jours, pour un coût pratiquement double.


De Haïphong, 27 janvier 1939, pour Strasbourg.

     L'usage consistant à noter le montant de la taxe en francs au côté de la marque de demande de perception sur les lettres-avion à destination de la France semble être, à cette époque, habituellement pratiqué par le bureau de Haïphong.. Ci-dessus, une lettre du deuxième échelon de poids aérien (cinq à dix grammes), insuffisamment affranchie comme premier échelon. Il manque trente centièmes de piastre, soit trois francs, taxés au double. Ces timbres de demande de taxe avec mention du montant en francs ont probablement été confectionnés localement pour les emplois les plus courants.

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Merci à Jacques Ducrot pour la comunication de ses scans.

Notes

(1) R. Joany, Les lettres issues des services maritimes postaux embarqués français et acheminées par avion, Documents philatéliques n° 85, 1980 [up].
(2) Bulletin officiel des P.T.T. n° 19, juillet 1934 [up].
(3) Bulletin officiel des P.T.T. n° 35, décembre 1935 [up].
(4) Bulletin de la Chambre de Commerce de Hanoï, 14 février 1935 [up].
(5) Arrêtés du 6 octobre 1937 fixent les taxes et conditions d'admission des objets postaux dans le régime intérieur indochinois et dans les relations franco-coloniales, intercoloniales et internationales, Journal officiel de l'Indochine, 1938, p.p. 38 et 39) [up].
(6) L'Avenir du Tonkin, 17 février 1939 [up].
(7) Arrêté n° 851-S, Gouverneur général de l'Indochine, 20 juin 1930 [up].

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