Postes ottomanes & bureaux étrangers
Affranchissements mixtes dans le régime U.P.U.

     L'un des principes fondateurs de l'Union générale des Postes, devenue Union Postale Universelle, a été de proposer une tarification unique à l'échelle mondiale, entraînant logiquement l'abandon des affranchissements mixtes dans les échanges postaux entre pays signataires. La Turquie est l'une des nations co-fondatrices de l'Union générale des Postes, en 1874.

     La carte-postale ci-dessus découle de ce principe. Envoyée de Stamboul pour Paris le 2 juin 1903, et ne portant aucun message personnel manuscrit, elle est affranchie au tarif turc des imprimés dans l'Union, soit 10 paras, ce qui est parfaitement règlementaire. Elle est sortie de Turquie par un bureau d'échange turc, sans transiter par un bureau étranger. On remarque d'ailleurs que le timbre-poste est de couleur verte, ce qui correspond au code de couleur de l'U.P.U. pour les objets à prix réduit.

     Considérant ce qui précède, il est alors assez surprenant de rencontrer, sur une autre carte postale originaire de Turquie, à destination du même pays étranger, un affranchissement turc complété par l'affranchissement en timbre-poste d'un bureau étranger.

     La carte postale ci-dessus, de Salonique pour Paris le 8 mai 1906, est affranchie avec un timbre turc à 5 paras oblitéré par le bureau turc local où elle a été déposée, et d'un timbre du Levant autrichien à 10 paras oblitéré par le bureau autrichien de Salonique, à qui elle a dû ensuite être transmise. Nous avons vu qu'à cette époque, les tarifs de l'U.P.U. exigent un affranchissement à 10 paras pour une carte postale internationale circulant au tarif réduit des imprimés. L'affranchissement à 5 paras correspondrait au tarif des imprimés turcs, mais uniquement dans le service interne (Corps de Droit ottoman, G. Young, 1906).

     Cette carte postale pose un certain nombre d'interrogations. Pourquoi, tout d'abord, apposer un affranchissement initial turc à 5 paras sur un imprimé pour la France, alors que le tarif turc pour les pays de l'Union est de 10 paras ? Pourquoi, ensuite, une carte déposée dans un bureau local turc devrait-elle être traitée par un service postal étranger ? Nous avons vu plus haut que l'expédition par un bureau turc ne pose pas de problèmes ; de plus Salonique est, à cette époque, capitale provinciale, et bureau d'échange postal avec l'étranger. D'autre part, qui a apposé le timbre-poste autrichien ? La logique voudrait que ce soit l'expéditeur, mais alors, pourquoi serait-il passé également par un bureau turc, pour y payer un suraffranchissement ?

     La plupart des bureaux étrangers en Turquie ont fermé leurs portes en 1914. En 1918, la France, en position de vainqueur de la Grande Guerre, y a ouvert des bureaux militaires traitant également le courrier civil, les postes turques n'étant pas en mesure de le faire.


coll. pers.

     La carte postale ci-dessus, de Constantinople pour Troyes le 18 mai 1919, est affranchie avec un timbre de France à 10 centimes oblitéré par le bureau militaire français n°506 de Constantinople. A cette époque, les tarifs français pour l'Union n'exigent, en principe, qu'un affranchissement à 10 centimes pour une carte postale internationale. Mais lorsque l'on retourne cette carte postale, on y découvre la présence d'un timbre turc à 5 paras, oblitéré par un bureau turc local, et daté de la veille, 18 mai 1919. Il apparaît donc que cette carte a été d'abord traitée par la poste locale, avant d'être remise à la poste militaire française. Celà pourrait paraitre logique dans la situation de l'époque, mais alors, pourquoi l'affranchissement initial ne couvre t'il pas directement la totalité du port pour l'étranger ?

Bureaux étrangers en Turquie

     Des postes étrangères se sont établies en Turquie depuis le XVIIIème siècles, d'abord autrichiennes et russes, puis françaises, anglaises, allemandes, italiennes, égyptiennes et grecques. Ces offices auraient dû être fermés dès 1874, lors de l'adhésion de la Turquie à l'Union des Postes, mais leur fonctionnement se poursuivit jusqu'au début de la guerre de 1914, malgré les protestations ottomanes, et quelques actions violentes contre les courriers étrangers.

     La note ci-dessus, qui figure dans le Corps de Droit ottoman de George Young, Oxford, 1906, illustre bien l'hostilité des autorités ottomanes envers les services postaux étrangers. Elle ne fait cependant pas allusion à d'éventuels affranchissements mixtes, mais à la taxation de certains courriers de l'étranger, considérés comme non affranchis en Turquie, et taxés au double du tarif.

Affranchissement mixte entrant en Turquie

     S'il est très surprenant de rencontrer des affranchissements mixtes au départ, il est encore plus surprenant de voir un timbre-poste turc appliqué à l'arrivée sur une carte postale venant de l'étranger.


coll. pers. (merci à Ombellule)

     La carte postale ci-dessus, de Tunis pour Xanthi le 6 novembre 1902, est affranchie avec un timbre tunisien à 5 centimes oblitéré par le bureau tunisien de départ. A cette époque, les tarifs de l'U.P.U. exigent, en principe, un affranchissement à 10 centimes pour une carte postale internationale. Notre carte est affanchie à seulement 5 centimes, mais elle n'a pas, apparemment, été taxée. On n'y trouve, en effet, ni demande de taxation de la Régence de Tunis, ni timbre-taxe turc.
La carte est entrée par le bureau turc de Salonique. Un timbre turc à 5 paras, probablement oblitéré par le bureau de Xanthi, figure au verso de la carte.

     On peut constater, à l'examen de ces trois cartes-postales, qu'elles présentent des caractéristiques notablement différentes :
- l'une est datée de 1902, elle est en arrivée, elle devrait-être au tarif des cartes-postales, et n'est pas passée par un bureau étranger établi en Turquie ;
- la suivante est datée de 1906, elle est en départ, elle est au tarif des imprimés, et elle est passée par un bureau étranger établi en Turquie ;
- la troisième est plus tardive, de 1919, elle est en départ, elle est au tarif des cartes-postales, et elle est passée par un bureau militaire étranger établi en Turquie.
Sur chacun de ces trois exemples, le timbre supplémentaire est d'une valeur identique, 5 paras. Il est, à première vue, difficile d'expliquer pourquoi. Si le supplément était lié au tarif, sa valeur serait différente selon les cas. S'il était lié au passage dans un bureau étranger, pourquoi figurerait-il sur la carte en arrivée ? S'il s'agissait d'une taxe de factage, pourquoi figurerait-il sur les deux autres cartes, en départ ?

     En conclusion, nous ignorons la justification de ce timbre turc supplémentaire, qui s'explique difficilement dans le contexte U.P.U. Il est possible qu'il découle d'une application turque particulière dont la teneur nous échappe. Si un lecteur en connaît l'origine, nous sommes évidemment preneur de son explication.

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