Grandeur et dÃÂécadence du
timbrage au verso
Le timbrage ÃÂàl'arrivÃÂée, ou timbrage ÃÂàl'ordinaire, gÃÂénÃÂéralement pratiquÃÂé au dos des correspondances, permet au public de connaÃÂître le dÃÂélai dans lequel une lettre est acheminÃÂée jusqu'ÃÂàlui par un service postal. Les anglais, prÃÂécurseurs en tout, pratiquent ce genre de marquage dÃÂès la fin du dix-septiÃÂème siÃÂècle dans le cadre du penny post, l'ÃÂéquivalent de notre petite poste. Une marque en forme de cÃÂ
ÃÂur, portant en abrÃÂégÃÂé l'heure de mise en distribution, permet de savoir si une correspondance parvient ÃÂàson adresse dans le dÃÂélai garanti par l'opÃÂérateur.
The practical method of the penny post, London, G. Larkin 1681.
Lettre datÃÂée de Maconnex le 14 juin 1791, timbrÃÂée de Ferney.
Timbrage ÃÂàl'arrivÃÂée ÃÂàParis le 17, confirmÃÂé par le destinataire.
En France, il faut attendre 1791 pour voir la gÃÂénÃÂéralisation du timbrage des correspondances ÃÂàl'arrivÃÂée, en premier lieu sur les lettres venant de province pour Paris. L'instruction gÃÂénÃÂérale sur le service des postes publiÃÂée en 1832 prescrit ÃÂàtous les directeurs d'appliquer leur timbre au dos des lettres ÃÂàla date du jour de leur mise en distribution. L'ÃÂâge d'or du timbrage ÃÂàl'ordinaire commence alors, il durera tout le siÃÂècle. Etendu au timbrage en passe, il verra la floraison d'une multitude de marquages divers, chaque intervenant du circuit postal prenant grand soin d'apposer la preuve de son intervention, jusqu'aux facteurs qui laissent leur tÃÂémoignage manuscrit et parfois un petit timbre individuel. La pratique confine souvent ÃÂàl'outrance, et les derniers intervenants de la chaÃÂîne de traitement ÃÂéprouvent quelques difficultÃÂés ÃÂàtrouver de l'espace pour s'exprimer.
DÃÂépart de Paris le 22 avril 1867 - 2 Ambulant Paris ÃÂàBordeaux le 22 - 3 Poitiers le 23 - 4 Ambulant Tours ÃÂàLa Rochelle le 24
5 La Tremblade le 24 (doublÃÂé) - 6 Ambulant La Rochelle ÃÂàTours le 26 - 7 Ambulant Paris ÃÂàClermont le 27 - 8 PrÃÂémery le 28
9 Nantes le 30 - 10 Pont-Rousseau le 30 - 11 Cholet le 1er mai - 12 Cholet le 2 - 13 Poitiers le 3.
Une premiÃÂère difficultÃÂé surgit avec l'adoption de la carte postale en 1873. Si le dos des lettres, blanc et vierge de toute correspondance, est le champ rÃÂêvÃÂé pour l'exercice du timbrage ÃÂàl'envi, celui des cartes postales, revÃÂêtu d'une correspondance privÃÂée, est interdit
d'accÃÂès aux postiers, qui sont alors obligÃÂés de se rabattre sur le recto, dÃÂéjÃÂàencombrÃÂé de l'adresse du destinataire et de l'affranchissement, sans compter que le fond imprimÃÂé n'est pas idÃÂéal pour la lisibilitÃÂé des timbres ÃÂàdate. L'Administration est alors contrainte de rÃÂéduire l'ÃÂétendue de la pratique, et par l'instruction 116 de fÃÂévrier 1874 elle enjoint aux agents de se dispenser de timbrer les cartes postales en passe, ce qui est parfois interprÃÂêtÃÂé ÃÂàl'excÃÂès.
Lyon pour Marseille, 29 avril 1874, pas de timbrage ÃÂàl'arrivÃÂée.
Les choses auraient pu en rester lÃÂàsi les postes franÃÂçaises n'ÃÂétaient pas, au dÃÂébut du vingtiÃÂème siÃÂècle, entrÃÂées dans une sournoise logique de stricte ÃÂéconomie. En 1905, il est question d'abaisser le coÃÂût de l'affranchissement de la lettre, favorisant l'augmention du trafic, mais aussi la charge de travail d'agents dÃÂéjÃÂàsurmenÃÂés. Une proposition se fait jour dans la presse : supprimer le timbrage au bureau d'arrivÃÂée, estimÃÂé par certains d'une inutilitÃÂé rarissime (Le Collectionneur, 10 octobre 1905). Mais ce n'est qu'au dÃÂébut de 1917, pour une toute autre raison, que cette solution extrÃÂême est appliquÃÂée, la mobilisation des territoriaux amputant les effectifs postaux de plus de douze mille agents, sous-agents et ouvriers (Le Midi socialiste, 28 janvier 1917). La mesure, bien que temporaire, suscite une vive ÃÂémotion dans le monde du Commerce, convaincu que le gain pour l'Administration est insignifiant par rapport au prÃÂéjudice causÃÂé. Comment les commerÃÂçants pourront-ils se dÃÂéfendre contre la nÃÂégligence (voire la malveillance) des facteurs, employÃÂés, concierges ou domestiques, intermÃÂédiaires entre les mains suspectes desquels passe leur correspondance ? Sans timbrage, point de contrÃÂôle (Le RÃÂéveil ÃÂéconomique, mai 1917). Le journal L'HumanitÃÂé du 16 avril 1917, loin de ces prÃÂéoccupations mercantiles, estime pour sa part que la mesure n'est qu'un leurre qui n'adoucira en rien le dur service des postiers.
Le Midi socialiste, 28 janvier 1917
La guerre finie, les agents des postes dÃÂémobilisÃÂés et renvoyÃÂés ÃÂàleur service, une note administrative datÃÂée du 7 mai 1919 rÃÂétablit le timbrage ÃÂàl'arrivÃÂée, au grand soulagement du public. Toutes les lettres sont de nouveau frappÃÂées au dos de la date de mise en distribution. Toutes ? Non ! Deux ans aprÃÂès le rÃÂétablissement officiel de la pratique, de nombreuses voix s'ÃÂélÃÂèvent pour dÃÂénoncer sa trop frÃÂéquente absence (Le Timbre-poste, janvier 1921). La rÃÂéponse de l'Administration ne se fait pas attendre : selon elle, la dÃÂécision prise en 1919 est appliquÃÂée sans restriction aucune, dans la mesure des moyens disponibles, c'est ÃÂàdire lÃÂàoÃÂù le matÃÂériel de timbrage mÃÂécanique prÃÂévu ÃÂàcet effet a ÃÂétÃÂé mis en place (Journal officiel, 14 avril 1921). Mais il semble que les choses traÃÂînent en longueur. Deux ans plus tard, la situation n'a pas beaucoup ÃÂévoluÃÂé (Le Grand Echo du Nord de la France, 23 dÃÂécembre 1923), et encore deux ans plus tard, l'Administration est bien forcÃÂée d'admettre que les frais inhÃÂérents ÃÂàla mÃÂécanisation sont incompatibles avec le service rendu, et que par mesure d'ÃÂéconomie, et aussi pour ne pas retarder la distribution, elle a ÃÂétÃÂé conduite ÃÂàrenoncer au timbrage systÃÂématique ÃÂàl'arrivÃÂée (Journal officiel, 3 dÃÂécembre 1925). La Presse ironise. Puisque la suppression du timbrage ÃÂàl'arrivÃÂée doit accÃÂélÃÂérer la distribution dans de grandes proportions, pourquoi ne pas l'accÃÂélÃÂérer encore en supprimant ÃÂégalement le timbrage au dÃÂépart ? (Excelsior, 27 aoÃÂût 1926).
Le Grand Echo du Nord de la France, 23 dÃÂécembre 1923
Une levÃÂée de boucliers accompagne la dÃÂécision de l'Administration, initiÃÂée par les Chambres de Commerce et les groupements industriels, et trÃÂès largement relayÃÂée dans les journaux. Le Gouvernement a beau expliquer sa dÃÂécision, celle-ci ne passe pas. Le lobbying des commerÃÂçants se met en place, et dÃÂès le mois de mars 1927, une proposition de rÃÂésolution est prÃÂésentÃÂée par plusieurs sÃÂénateurs, tendant ÃÂàinviter le ministre du Commerce ÃÂàÃÂétudier les moyens nÃÂécessaires au rÃÂétablissement, dans tous les bureaux de poste, du timbrage des lettres ÃÂàl'arrivÃÂée (Impressions, SÃÂénat, 31 mars 1927). RÃÂéfutant les objections concernant la mise en place nÃÂécessaire et gÃÂénÃÂérale de moyens mÃÂécaniques de timbrage, les sÃÂénateurs rÃÂéclament une ÃÂétude financiÃÂère sur le sujet en vue de la prÃÂéparation du budget pour 1928. Un rapport de la Commission des Finances chargÃÂée d'ÃÂétudier ce budget conclut (Impressions, SÃÂénat, 13 dÃÂécembre 1927) que les motifs de l'Administration postale sont infondÃÂés, estimant d'une part lÃÂégitime le besoin pour le Commerce et l'Industrie de disposer d'une date d'arrivÃÂée sur les correspondances, et d'autre part qu'un timbrage manuel ne grÃÂèverait que peu le budget des postes. En consÃÂéquence, la Commission juge que le timbrage ÃÂàl'arrivÃÂée doit ÃÂêtre rÃÂétabli. Le ministre du Commerce s'incline, et prend l'engagement de prescrire le rÃÂétablissement, ÃÂàtitre d'essai, du timbrage des correspondances ordinaires ÃÂàl'arrivÃÂée dans les bureaux oÃÂù l'opÃÂération n'occasionne ni dÃÂépense ni retard (Bulletin des postes, note du 16 fÃÂévrier ÃÂàeffet au premier fÃÂévrier 1928, nÃÂð 4). En dÃÂéfinitive, c'est une maniÃÂère comme une autre de mÃÂénager la chÃÂèvre et le chou.
Reprise du timbrage ÃÂàl'arrivÃÂée, 3 fÃÂévrier 1928 (coll. Pescator)
Au cours des annÃÂées qui suivent cette dÃÂécision, on constate que le timbrage ÃÂÃÂ
l'arrivÃÂée est encore souvent omis, malgrÃÂé les prescriptions administratives (Conseil gÃÂénÃÂéral de la SaÃÂöne-et-Loire, janvier 1929). Une note de la Direction de l'exploitation postale en date du 26 fÃÂévrier 1935, tout en regrettant les nombreuses rÃÂéclamations ÃÂàce sujet, rappelle que le timbrage ÃÂàl'arrivÃÂée reste la rÃÂègle, en particulier pour les lettres missives (Bulletin officiel du ministÃÂère des postes, nÃÂð 8, 11 mai 1935). Une note du 22 juillet 1935 (Archives Nationales, F90 21594, L. Bonnefoy) supprime quant ÃÂàelle le timbrage au verso des cartes postales, pour des raisons pratiques.
De Paris, 23 avril 1940, timbrage mÃÂécanique International Tours-RP le lendemain.
Une note secrÃÂète datÃÂée du 16 juillet 1935 (citÃÂée par Y. NouazÃÂé, L'oblitÃÂération mÃÂécanique en France, F.F.A.P. 2006) ayant prÃÂéconisÃÂé la suspension du timbrage ÃÂàl'arrivÃÂée en temps de guerre, celui-ci a cessÃÂé d'ÃÂêtre apposÃÂé, en thÃÂéorie, en septembre 1939. Cependant, d'aprÃÂès une note du SecrÃÂétaire d'Etat aux Communications en date du 26 octobre 1941 (NouazÃÂé, ibid.), certains bureaux de poste continuent de timbrer ÃÂàl'arrivÃÂée, et
aprÃÂès qu'ils aient ÃÂétÃÂé longtemps priÃÂés de pratiquer ce timbrage, on leur demande dÃÂésormais d'y mettre un terme. Terme qui semble dÃÂéfinitif : une note datÃÂée du 31 juillet 1946 (Archives Nationales, F90 21594, L. Bonnefoy) rappelle que la suspension du timbrage ÃÂàl'arrivÃÂée, prescrite au dÃÂébut des hostilitÃÂés, n'a pas ÃÂétÃÂé rapportÃÂée. On peut cependant en rencontrer des exemples peu frÃÂéquents. A une question des Chambres de Commerce concernant son rÃÂétablissement pour les lettres ordinaires, le ministÃÂère des poste apporte, en dÃÂécembre 1953, une rÃÂéponse nÃÂégative. Le ministÃÂère prÃÂécise que les particuliers peuvent toujours recourir, en cas de nÃÂécessitÃÂé de timbrage ÃÂàl'arrivÃÂée, ÃÂàla formalitÃÂé de la recommandation (Archives Nationales, 20020551, L. Bonnefoy).
De Reims, 1er fÃÂévrier 1952, timbrage manuel ÃÂàl'arrivÃÂée (Coll. Christophe P).
Pour finir, on peut trouver dans l'Instruction gÃÂénÃÂérale sur le service des postes de 1973, fascicule IV, article 195, la confirmation que les lettres ordinaires sont exclues de l'application du timbre ÃÂàdate ÃÂàl'arrivÃÂée.
Instruction gÃÂénÃÂérale sur le service des postes, fascicule IV, article 195, 1973