Le bureau français de Shanghaï
de sa création à son entrée dans l'U.G.P.
1862/1877

 

     Ce texte est un travail de commande publié en japonais dans le numéro 107 de juillet 2012 de la revue The Philatelic Studies.

 

En 1847, après la première guerre de l'Opium, la France ouvre un consulat à Shanghaï. En 1860, en raison de la seconde guerre de l’opium, un Corps Expéditionnaire français est envoyé en Chine. Mais il ne s’attarde pas dans le Céleste Empire, appelé à la conquête de la Cochinchine [1], étape initiale de la colonisation de ce qui deviendra la Perle de l'Empire. Cette colonisation s’appuiera alors sur deux vecteurs reliant la métropole à ses établissements coloniaux, le paquebot et la poste, pour transporter le flot des militaires, missionnaires et fonctionnaires, et leur correspondance.

Le service postal de l'Indo-Chine

En avril 1861, un projet de convention, passé entre le Ministère français des Finances et la Compagnie des services maritimes des Messageries Impériales, est adopté par le Conseil d’État. Il s’agit d’exploiter un service postal de navigation entre Suez et la Chine. Ce projet, subventionné par le gouvernement, est baptisé service postal de l’Indo-Chine. Il porte sur une période de vingt-quatre ans, et s’accompagne d’un cahier des charges très détaillé.

Le service à exécuter à destination de la Chine comprend un voyage mensuel aller et retour entre Suez, Saïgon, Hong-Kong et Shanghaï, sur lequel la compagnie s’engage à transporter gratuitement les correspondances, en relation avec les lignes de la Méditerranée. A terme, douze bâtiments à vapeur de construction française sont prévus pour le service de l’Extrême-Orient, sur chacun desquels peut être embarqué un agent des postes, chargé de la réception, conservation et transmission des dépêches, et disposant d’un local approprié pour servir de bureau. Il dispose également d’une embarcation à sa disposition exclusive pour le transbordement des dépêches.

La mise en oeuvre de ce projet fait l’objet de la loi du 3 juillet 1861 [2], un décret ultérieur attribuant la concession du service aux Messageries impériales [3]. En octobre de l’année suivante, les modalités d’application sont communiquées aux postiers français [4]. Le premier départ de Marseille pour Hong-Kong doit s’effectuer le 19 octobre 1862, et de Hong-Kong pour Shanghaï le 28 décembre 1862. Initialement, les Messageries Impériales affectent six paquebots au service postal de l’Indo-Chine, l’Impératrice, le Donnaï, le Cambodge, l’Alphée, l’Érymanthe et l’Hydaspe.

Pour ce premier voyage, il est spécifié que les correspondances à destination de la Cochinchine sont soumises aux mêmes modalités d’affranchissement que celles de la voie de Suez par les paquebots britanniques, exception faite pour les lettres des militaires et marins sous les drapeaux.

Le bureau français de Shanghaï

Le premier établissement postal français en service à Shanghaï a été le bureau central militaire du Corps expéditionnaire en Chine. Déplacé de Hong-Kong en avril 1860, il sera fermé en mars 1862. Les lettres nées dans ce bureau portent sur la suscription le timbre dateur portant l’intitulé CORPS EXP. CHINE BAU CENTRAL, et les timbres-poste sont annulés du losange de points CECB Cl (figure 1). Les tarifs postaux réservés aux soldats et sous-officiers (vingt centimes) ou officiers (quarante centimes) sont réglés par la circulaire n° 152 parue au bulletin des postes en décembre 1859 [5].

Cérès 130/282

Fig.1 - Lettre simple pour la France au tarif des officiers.

Quelques mois après la fermeture du bureau militaire, la création, en novembre 1862, de la direction de poste de Shanghaï fait l’objet de la circulaire n° 270, complétant et expliquant le décret impérial du 18 octobre 1862 [6]. L’article premier en donne la justification, par suite de l’établissement postal français de l’Indo-Chine. Ce bureau est placé en correspondance avec ceux de Paris et Marseille, ainsi qu’avec le bureau ambulant de Marseille à Lyon, par la voie des paquebots-poste français ou anglais. Il correspond également avec les agents des postes embarqués faisant escale à Shanghaï, et traite les lettres ordinaires affranchies ou non, les lettres chargées et les imprimés. Le bureau fonctionne au début de janvier 1863, la première lettre connue étant datée du 9 janvier.

Les tarifs postaux

Le tarif de novembre 1862

Le décret du 18 octobre 1862, applicable le 15 novembre suivant, fixe la taxe de la lettre échangée entre le bureau de Shanghaï et les autres bureaux français, qu’ils soient de métropole, d’Algérie ou du Levant, pour chaque tranche de sept grammes et demi, à soixante-dix centimes lorsqu’elle est affranchie et à quatre-vingt-dix centimes lorsqu’elle ne l’est pas. Les lettres insuffisamment affranchies sont taxées de la manière habituelle, sur le pied de la lettre non affranchie, déduction faite de la valeur des timbres-poste apposés. Les lettres chargées doivent être intégralement affranchies, et supportent un droit supplémentaire fixe de cinquante centimes. Les imprimés supportent une taxe de treize centimes par quarante grammes lorsqu’ils sont adressés à Shanghaï, et de seize centimes dans l’autres sens.

Il est précisé que toutes ces taxes ne couvrent l’affranchissement que pour, ou depuis la ville de Shanghaï, sans préjuger des frais d’acheminement pour le reste de la Chine. Les lettres affranchies jusqu’à destination pour Shanghaï doivent être frappées du timbre P.D., les lettres adressées au-delà de Shanghaï l’étant du timbre P.P.

Le décret introduit également un tarif spécial de soixante centimes pour la lettre et quinze centime pour l'imprimé à destination de la Cochinchine, de l'Inde française et des possessions anglaises en Asie. Ce tarif de la Mer de Chine s'éteindra à l'entrée de Shanghaï dans l'U.G.P. Le décret détaille également l’ensemble des tarifs à destination de l’étranger. Un autre tarif spécial, de cinquante centime pour la lettre affranchie et soixante-dix centimes la lettre non affranchie à destination du Japon est créé en juin 1865 [7].

Les tarifs ultérieurs

Le décret du 28 octobre 1865 [8], applicable au premier janvier suivant, relève la taxe de la lettre affranchie à quatre-vingt centimes par tranche de dix grammes, la lettre non affranchie étant taxée un franc. Le tarif de l’imprimé est réduit à douze centimes par quarante grammes.

En 1870, à la suite de la translation du port d’attache des paquebots anglais de Marseille à Brindisi, le tarif de la lettre se trouve augmenté de quarante centimes, et celui des imprimés de dix centimes, en raison de la traversée de l’Italie [9].

L’arrêté du 21 avril 1871 [10], applicable au premier juillet, introduit plusieurs possibilités tarifaires, selon la voie empruntée :

          ÃƒÂ¢Ã‚€Â¢ par la voie de Marseille et Suez, la lettre affranchie, un franc par dix grammes, la lettre non affranchie un franc vingt, la lettre chargée deux francs, les imprimés quinze centimes par quarante grammes ;

          ÃƒÂ¢Ã‚€Â¢ par la voie de Brindisi (et de Naples en octobre 1875), la lettre affranchie depuis la France, un franc trente, non affranchie un franc cinquante, chargée deux francs soixante, affranchie depuis Shanghaï un franc quarante, les imprimés vingt-cinq centimes ;

          ÃƒÂ¢Ã‚€Â¢ par la voie d’Angleterre et des Etats-Unis, la lettre depuis la France affranchie jusqu’à la limite des services américains, un franc trente, la lettre de Shanghaï affranchie jusqu’au port d’embarquement, un franc cinquante, les imprimés vingt-cinq centimes.

Le décret du 10 novembre 1875 [11], applicable au premier janvier 1876, renouvelle les tarifs précédents :

          ÃƒÂ¢Ã‚€Â¢ par la voie de Marseille et Suez, la lettre affranchie, un franc par dix grammes, la lettre non affranchie un franc vingt, la lettre recommandé un franc cinquante, les imprimés quinze centimes par cinquante grammes ;

          ÃƒÂ¢Ã‚€Â¢ par la voie de Brindisi et de Naples, la lettre affranchie depuis la France, un franc dix, non affranchie un franc trente, recommandée un franc soixante, les imprimés vingt centimes ;

          ÃƒÂ¢Ã‚€Â¢ par la voie d’Angleterre et des Etats-Unis, la lettre depuis la France affranchie jusqu’au port de débarquement, cinquante centimes, recommandée un franc quarante, les imprimés quinze centimes ; de Shanghaï affranchie jusqu’au port d’embarquement, quatre-vingt centimes, recommandée un franc soixante-dix, les imprimés vingt centimes.

Les marques postales

Lorsque le premier directeur civil des postes de Shanghaï, M. Champanhet, arrive de France en décembre 1862, il apporte avec lui un timbre dateur circulaire et un timbre oblitérant losange de points avec gros chiffre 5104, numéro d’ordre de son bureau dans la nomenclature française. Le dateur sans levée porte dans la couronne l’inscription SHANG-HAÏ BAU FRANÇAIS (figure 2). Mais les chinois protestent contre cet intitulé, et le dateur sera remplacé, à partir de 1871, par un nouveau type, portant l’inscription SHANG-HAÏ CHINE.

Roumet 505/226

Fig.2 - Lettre simple pour la France au tarif de 1862.

Il est intéressant de noter l’existence de lettres portant la combinaison du losange oblitérant 5104 et d’un dateur sans levée COR. D. ARMÉE INDO-CHINE (figure 3). Cette configuration se trouve sur des plis déposés par des militaires au bureau de Shanghaï. Initialement, ce bureau ne posséde pas de timbre dateur militaire, il se contente d’oblitérer les timbres poste à l’aide de son losange, avant de transmettre la lettre à l’agent postal du paquebot. Celui-ci étant en possession du timbre militaire, il l’applique alors sur la suscription [12], l’utilité de cette opération étant de justifier la validité de l’affranchissement réduit dont bénéficient les militaires. Par la suite, en 1869 [13], ce timbre a été laissé au bureau de Shanghaï, et il a été remplacé en 1871 par un autre modèle, portant dans la couronne la mention COR. D. ARMÉE SHANG-HAÏ (figure 4).

Roumet 22/67

Fig.3 - Lettre double pour la France au tarif des officiers.

Achats Collections #1564

Fig.4 - Lettre simple pour la France au tarif militaire.

On peut encore relever l’existence de timbres dateurs portant l’intitulé SHANG-HAÏ PAQ. FR. suivi d’un nom ou d’un numéro de paquebot. Ces marques ont été apposées sur des lettres extraites de boîtes mobiles installées à bord de navires dépourvus d’agent embarqué.

En mars 1876, l’instruction n° 193 [14] signifie l’abandon de l’utilisation du timbre oblitérant losange à pointes coniques pour l’annulation des timbres-poste, et son remplacement par le timbre dateur. Cette directive n’a pas été appliqué par le directeur du bureau de Shanghaï, et l’on retrouve le losange 5104 utilisé bien après 1876 (figure 5), jusqu’en 1882, et même, épisodiquement, plus tardivement.

Roumet 503/190

Fig.5 - Lettre triple pour la France au tarif de 1876.

Le timbre oblitérant losange de points à gros chiffre 5104 a présenté au moins deux types différents. La différence la plus évidente porte sur la position de la barre horizontale du chiffre 4, plus basse sur le type initial que sur le type retouché (figure 6). Selon notre éminent collègue Emmanuel (Vals59), il est possible qu'il ait existé une autre retouche, avec petite barre du 1 plus ouverte et haut du 0 plat.


Fig.6

L'Union générale des Postes

A la suite de l’accession des colonies françaises et anglaises à l’Union générale des Postes, le décret du 16 mars 1877, complété et expliqué par la circulaire n° 231 [15], rend compte de l’assimilation, à compter du premier avril suivant, du bureau français de Shanghaï aux pays de l’Union postale. Il en résulte l’abandon de la multiplicité tarifaire, et l’alignement sur la nouvelle règlemenation universelle.

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Notes :
[1] Saïgon est prise en février 1861, l’Empereur d’Annam accepte les conditions françaises en juin 1862.
[2] XI, bull. DCDIL, n° 9268. Sous ce numéro figurent le corps de la loi, la convention et le cahier des charges.
[3] XI, bull. DCDLIV, n° 9369.
[4] Bulletin mensuel de l’Administration des Postes n° 86, octobre 1862.
[5] B.M.A.P. n° 52, décembre 1859.
[6] B.M.A.P. n° 87, novembre 1862.
[7] B.M.A.P n° 118, juin 1865.
[8] B.M.A.P n° 123, octobre 1865.
[9] Décret du 21 décembre 1870, B.M.A.P. décembre 1870, p.120.
[10] B.M.A.P. mai 1871, p.220.
[11] B.M.A.P. n° 79, octobre 1875, p.502.
[12] J. Desrousseaux, Les postes et courriers français en Extrême-Orient, L1-Bureaux français d’Extrême-Orient, www.colfra.com, merci à J.- C. (Marcorse) pour la communication.
[13] En 1866, seuls les agents embarqués sur la Ligne R (Hong-Kong) détenaient encore ce timbre. La Ligne R a été fermée en 1869.
[14] B.M.A.P. n° 84, mars 1876.
[15] B.M.A.P. n° 95, février 1877.


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