Le dur labeur du facteur rural

Y a-t'il un métier plus pénible que celui de facteur rural ?
Marcher sans cesse, est-ce possible ? Toujours à pied, jamais à ch'val.
Se lever dès potron minette, trotter jusqu'au soleil couchant
sans se rafraîchir la trompette avec un p'tit coup de vin blanc.

Les tournées du facteur - chanson, v. 1890


En juin 1829, le roi Charles X, soucieux de ce que toutes les communes du Royaume de France, jusqu'à la plus petite, bénéficient de la levée et de la distribution du courrier, signe la loi sur le service de la poste rurale (dite aussi loi Sapey), afin que ce service soit mis en œuvre dès le premier avril 1830.
En complément de la création de bureaux de distribution supplémentaires, il découle de cette loi l'installation de boîtes aux lettres dans les quelques 35.000 communes encore dépourvues de service postal. Pour le service de ces boîtes, 5.000 facteurs ruraux sont recrutés.


Lettre relevée à Aigues-Vives, arrondissement de Calvisson, en avril 1835.
Origine rurale identifiée, décime rural en rouge, pas de lettre-timbre sur le pli.

Le financement de cette loi s'appuie sur l'instauration, en sus de la taxe progressive ordinaire, d'une taxe forfaitaire de 1 décime, à percevoir sur toute lettre relevée ou distribuée dans une commune rurale dépourvue de bureau de poste (art.2), sauf si elle est adressée, ou a pris naissance, dans le même arrondissement rural (I.G. 1832, art.181). Le décime rural sera supprimé par la loi du 3 juillet 1846.


Lettre originaire de Clermont-Ferrand, pour Messeix, arrondissement de Bourg-Lastic, en novembre 1842.
Destination rurale, décime rural en noir, taxe progressive de 1 décime pour la circonscription postale.

L'arrondissement rural d'un bureau de direction ou d'une distribution comprend l'ensemble des communes ne possédant pas de bureau de poste, desservies par les facteurs ruraux de ce bureau ou de cette distribution.
Une circonscription postale comprend un bureau de direction, son arrondissement rural, ainsi que les distributions en correspondance directe avec le-dit bureau de direction, et leur arrondissement rural.


Lettre écrite à Veracruz (Mexique) en septembre 1836, envoyée en France par navire du commerce.
A destination rurale, elle paye la taxe territoriale française, le décime de mer et le décime rural.

Le Rouge ou le Noir
© coll. macdo

De Barbaste (Lot-et-Garonne), par Lavardac, 17 mai 1830, pour Bordeaux.
Il semble que le décime ait été frappé d'abord en noir, puis en rouge.
La teinte de l'encre à utiliser pour frapper les timbres du décime rural n'est pas prescrite par les textes initiaux, mais dès juin 1830 (circulaire n° 45 du 5 juin 1830), l'Administration émet une préférence pour le rouge, réputé plus lisible, "surtout pour la constatation de l'origine rurale." Il faudra cependant attendre l'instruction d'avril 1834 sur le service des distributeurs pour en avoir la prescrition officielle : le décime dû pour l'origine rurale devra être frappé en rouge, celui pour la destination rurale devra l'être en noir. Entre temps, il y aura eu beaucoup d'hésitations.

Application erronée du décime supplémentaire

De Aiseray (Côte-d'Or), 29 juillet 1832, pour Genlis. Aiseray est une commune rurale de l'arrondissement de Genlis. A cette époque, le timbre OR n'existe pas, et l'apposition sur la lettre du timbre de boîte n'est pas prescrite. La lettre arrive vierge de toute marque postale au bureau de Genlis, qui taxe à 1 décime pour un lettre née et distribuée dans son arrondissement postal, appose son timbre CL indiquant l'inscription de ce décime comme recette d'origine rurale, et appose aussi, par erreur, la marque du décime supplémentaire. Cette marque n'étant pas annulée, il n'est pas possible de savoir si ce décime a été, ou non, indument perçu.

De St-Germain-en-Laye, 29 juillet 1833, pour Chanday (Orne) par Verneuil. Taxe manuscrite de port dû de 4 décimes, tarif de la lettre de moins de 7,5 grammes sur une distance comprise entre 81 et 150 kilomètres. Au verso, arrivée Verneuil (Eure), au recto, décime rural, apparemment de la même encre. Le décime est barré de trois petits traits de plume.

Chandai dispose d'une distribution, depuis le 1er octobre 1824, en correspondance avec L'Aigle (Orne), mais également avec Verneuil-sur-Avre (Eure). Conformément à l'indication de routage portée sur l'adresse, la lettre a transité par la direction de Verneuil, qui a apposé son timbre à date à l'arrivée. Il n'y avait pas lieu de faire payer le décime supplémentaire au destinataire, la commune de destination ayant un bureau de poste ; on peut penser que toutes les lettres portant la mention "par Verneuil", a priori destinées à une tournée de facteur rural, ont été regroupées, puis frappées du décime ; c'est probablement au moment de composer les tournées que l'on s'est aperçu de l'erreur, et que le décime a été raturé.
On note l'absence du timbre cursive de Chandai en arrivée, ce qui pourrait laisser penser, à tort, que cette localité ne possédait pas de bureau de poste.


De Cheroy (Yonne), 8 mars 1838, pour Paris. Lettre d'origine rurale relevée dans une boîte au cours de la tournée du facteur. Le décime rural est tout d'abord appliqué en rouge, avant que le taxateur ne s'avise qu'en vertu des articles 331 à 333 de l'I.G.S.P. applicable le 14 juillet 1832, les lettres adressées au Ministre de la Guerre "ne doivent jamais être recues à l'affranchissement." En conséquence, le décime est rayé d'un trait de plume et la lettre est envoyée franche de port. Arrivée le lendemain à Paris.

De Artiguelouve (Basses-Pyrénées), 17 décembre 1843, pour Sauveterre, par Orthez (Basses-Pyrénées). Lettre relevée dans une boîte rurale au cours de la tournée du facteur, et à destination d'une commune dépourvue de bureau de poste. Le décime rural est règlementairement appliqué en rouge, pour taxer l'origine rurale, mais il est accompagné d'un second décime appliqué en noir, réclamant la taxe pour la destination rurale. Or l'article 10 de l'instruction sur le service rural du 1er avril 1830 précise bien que "la taxe supplémentaire ne peut être perçue qu'une fois, quand même la lettre aurait été recueillie dans l'arrondissement rural d'un bureau, et serait destinée pour l'arrondissement rural d'un autre bureau."

Il est possible que le postier de Pau ait apposé d'abord, par erreur, sa marque en noir, avant de la refrapper règlementairement en rouge. En effet, il était très probablement pourvu de deux timbres de décime rural, l'un servant pour la taxe devant être appliquée en noir, l'autre pour la taxe à appliquer en rouge (circ. 38, décembre 1934, art.7).

Distribution en correspondance directe avec Paris

De Villers-sur-Bonnières, 4 janvier 1834, pour Paris. Décime supplémentaire, dateur simple cercle et cursive de la distribution de 58/Marseille. Taxe manuscrite de port dû de 3 décimes, pour une lettre de moins de 7,5 grammes sur une distance comprise entre 41 et 80 kilomètres, appliquée soit au départ, soit à l'arrivée à Paris. La taxe semble erronée, la distance, en ligne droite, étant légèrement supérieure à 80 kilomètres. Au verso, arrivée Paris, 5 janvier.

La lettre a été levée dans une boîte rurale, ou remise à un des facteurs de la distribution de Marseille-le-Petit (Oise). Cette distribution étant située sur la route de la malle-poste de Paris à Calais, elle devait, depuis février 1828, faire dépêche directe pour Paris. Il n'est guère possible de savoir où la taxe a été apposée, ce n'est qu'en 1835 que les distributions en correspondance directe avec Paris pourront utiliser un chiffre de taxe au tampon.

Réexpédition vers une commune rurale


De Bordeaux, 27 décembre 1834, pour Saint-Maixent (Deux-Sèvres). La taxe initiale de six décimes, erronée, a été abaissée à cinq décimes par le bureau de départ (premier échelon de poids pour une distance de moins de 220 kilomètres). A l'arrivée à Saint-Maixent, le destinataire ayant changé de résidence, la lettre a été redirigée (mention manuscrite Cht. de Rse, le n°22 correspondant au numéro d'inscription de la lettre sur l'état nominatif n°41 des changements de résidence). Le destinataire résidant désormais dans une commune rurale, Beaussais, par Melle (Deux-Sèvres), le directeur de Saint-Maixent n'a pas recifié la taxe (même échelle de distance depuis Bordeaux), mais a appliqué le décime rural en noir.


Les marques de la lettre
circulant par la poste rurale

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La mission du facteur rural


Comme indiqué dans la circulaire d'application, chaque facteur rural est affecté à une tournée, qu'il doit effectuer, une fois tous les deux jours, pour distribuer et relever le courrier, selon l'ordre prévu par l'administration. Une loi complémentaire instaurera, en 1832, un service quotidien, qui sera mis en place très progressivement.
Pour contrôler la régularité de cette tournée, chaque boîte est désignée par une lettre, suivant l'ordre alphabétique en rapport avec l'ordre de marche imposé au facteur. Une lettre-timbre, d'environ 10 mm, est vissée à l'intérieur de chaque boîte, et le facteur doit en relever l'empreinte sur sa feuille de route, appelée part, à l'aide d'un tampon encreur qu'il porte sur lui.

Généralement frappée en noir, la lettre-timbre se rencontre plus rarement en rouge. A gauche, une origine rurale non identifiée de l'arrondissement de Lézignan en octobre 1837.

A partir d'avril 1834, le décime rural doit être, règlementairement, frappé en rouge si la lettre est d'origine rurale, en noir si elle est destinée à un arrondissement rural.


Origine rurale non identifiée (peut-être Aillon) de l'arrondissement du Châtelard, en août 1903. Lettre-timbre frappée en bleu.

Le règlement de novembre 1835 fait obligation au facteur rural de faire également figurer sur la suscription, à partir de cette date, l'empreinte de la lettre-timbre correspondant à la boîte dans laquelle le courrier a été relevé. La lettre-timbre doit, normalement, être frappée en noir (Circulaire du 18 octobre 1834), mais on rencontre, plus rarement, des marques à l'encre rouge ou bleue. On peut rencontrer des lettres-timbre sur les courriers jusqu'au début du vingtième siècle (suppression par circulaire du 7 décembre 1911 - BMP&T n° 19-IV-5°).

Après l'introduction, en 1849, du timbre-poste en France, le facteur rural, s'il continue d'apposer sa lettre-timbre sur le pli, ne doit pas, en revanche, la faire empiéter sur la figurine, les opérations d'oblitération du courrier étant réservées à l'agent sédentaire du bureau de poste, sauf cas particulier.

Du facteur rural au bureau ambulant



Lettre écrite à Fontblanche, le 22 novembre 1860, et postée à la boîte rurale B de l'arrondissement postal de Marignane. Cette boîte est située soit à Fontblanche même, soit à Vitrolles (cf. lettre de Vitrolles, boîte B, 30 juillet 1859, F.M.339S p.40). La lettre n'étant pas destinée à être distribuée dans la suite de la tournée du facteur, celui-ci devrait, règlementairement, la ramener au bureau de Marignane, afin qu'il y soit donné suite par le distributeur.
Mais au lieu de porter l'annulation losange PC1879 et le timbre dateur de Marignane, la lettre porte le losange d'ambulant LM1° et le dateur Lyon à Marseille 1°. Il nous faut alors supposer que le facteur a jeté cette lettre à découvert dans une boîte mobile de gare située sur le passage de l'ambulant.

On connaît une circulaire parue au B.M. de janvier 1867, et qui évoque l'autorisation donnée aux directeurs et distributeurs de permettre le dépôt de certaines lettres rurales dans les boîtes mobiles, pour un "prompt acheminement des correspondances". C'est probablement ce qui c'est passé dans ce cas précis, avec quelques années d'anticipation sur la position officielle.

La gare du canton de Marignane, où passe la ligne Méditerranée du P.L.M., est située à Saint-Victoret, pas très loin de Fontblanche. Le bureau ambulant ordinaire* LM1°, parti de Lyon le matin vers 8h30, s'y arrête vers 16h. A cette heure-là, le distributeur de Marignane a déjà clos sa dépêche, alors que le facteur n'est probablement pas encore rentré au bureau. C'est la raison pour laquelle ce dernier poste notre lettre, au passage devant la boîte mobile de la gare, à découvert, afin qu'elle soit levée par l'ambulant descendant vers Marseille. Le directeur de ce bureau l'inclut alors dans la dépêche destinée à son collègue de l'ambulant supplémentaire* ML2°, qui part de Marseille vers 22h, en direction de Lyon, en correspondance avec Paris. La distribution de la lettre aura ainsi gagné 24 heures.

les ambulants ordinaires ne circulent pas nécessairement de nuit, ni les supplémentaires de jour, malgré les expressions consacrées largement utilisée par les marcophiles (cf. le plan de fonctionnement des ambulants, B.M.12 1856).

Dans les communes rurales dépourvues de bureau de poste, mais dont l'étendue et la population présentent une certaine importance, il peut être demandé, par les municipalités, l'installation, à leurs frais, d'une ou plusieurs boîtes supplémentaires. Elles sont alors incluses dans la tournée du facteur rural. Le timbre circulaire porte la même lettre que celle de la boîte principale, accompagné d'un indice, à partir du n°2.
Ces timbres à indice peuvent également avoir été utilisés lorsque le nombre de communes rurales desservies par un même bureau est supérieur au nombre le lettres de l'alphabet. On connaît ainsi des lettres-timbre à indice 4, voire  5 (lettre-timbre P/4 pour la boîte rurale de Havrincourt, dépendant du bureau de Cambrai, ce bureau desservant 89 communes rurales en 1840, par exemple).


Lettre relevée dans la boîte rurale Q2 de Trèbes,
arrondissement de Carcassonne, en novembre 1861.

La circulaire du 9 juin 1836 introduit dans le service un timbre portatif, marqué aux initiales OR, à appliquer sur les lettres, d'origine rurale, remises en main propre au facteur rural par l'expéditeur, hors des boîtes. Elle est généralement frappée en noir, mais il arrive de la rencontrer en rouge. La marque OR a été supprimée par circulaire du 7 décembre 1911 (BMP&T n° 19-IV-5°).


Lettre remise au facteur rural à Port-de-Bouc, arrondissement de Martigues, en mai 1858.
Origine rurale identifiée, timbre OR sur le pli.


Lettre remise au facteur rural dans l'arrondissement de Saint-Mars-la-Pile, en février 1855.
Timbre OR frappé en rouge, taxe territoriale de port-dû.


Les marques comptables


Avant chaque tournée, le directeur du bureau de poste, ou le distributeur, fait inscrire à chaque facteur rural, sur son part, le nombre de lettres à distribuer, et il porte au débit du facteur, par avance, le montant des taxes de port dû à percevoir par celui-ci (1). Au cours de sa tournée, le facteur rural se fait régler, par les destinataires, les taxes de port dû indiquées sur les plis (2). A la fin de la tournée, il rembourse sa dette au directeur, et fait annuler le montant des taxes des lettres non distribuées, après en avoir justifié le motif. Ces taxes non recouvrées sont alors reportées sur une comptabilité spéciale, en tant que "non valeurs".

(1) IG 1832 - III/V/III/500. "Les facteurs sont responsables envers les directeurs du montant de la taxe des lettres dont ils ont reconnu le compte ; et ils sont tenus de rapporter, jour par jour, le montant de la taxe des lettres distribuées."
(2) id. 501. "Il est défendu aux facteurs de faire aucun crédit ; ils doivent se faire payer immédiatement le port des lettres qu'ils distribuent."


Lettre relevée à Mirepeisset, arrondissement de Narbonne, en décembre 1834.
Origine rurale identifiée, taxe locale 1 décime, pas de lettre-timbre sur le pli.

Il faut citer, comme marques comptables spécifiques à la poste rurale, les timbres CL (correspondance locale) et CD (correspondance distribution), introduits par une circulaire de 1830 pour le premier, puis en 1832 pour le second, et dont la frappe se faisait au bureau de poste. Leur présence permettait aux directeurs, ou aux distributeurs, de tenir la comptabilité particulière des "non valeurs", pour les lettres non distribuées dans l'arrondissement du bureau où elles avaient pris naissance (3). Ces marques furent supprimÃ