Surtaxe pour service extraordinaire
l'Overland mail iraquien


      L'un des principes fondateurs de l'Union des postes fut l'adoption d'un tarif international uniforme, valable dans chaque pays membre pour l'ensemble du ressort de l'Union. Cependant, pour permettre la rétribution des frais de transit résultant de l'utilisation de certains moyens de transport particuliers (à l'origine, la Malle des Indes et le train transcontinental américain), la perception de surtaxes, appelées génériquement "pour services extraordinaires", fut autorisée, dès 1876, par l'article 4 de l'Arrangement de Berne, conclu à l'occasion de l'admission des colonies françaises et anglaises dans l'U.G.P. Ces surtaxes seront ensuite définies par l'article 5 de la Convention de Paris, signée en 1878 : "pour tout objet transporté par des services dépendant d'administrations étrangères à l'Union, ou par des services extraordinaires dans l'Union, [il peut être perçu] une surtaxe en rapport avec ces frais." Les conditions d'application de ces surtaxes seront toujours laissées au gré des administrations concernées.


The Nairn Transport Corporation


      A la fin de la Première Guerre mondiale, la chute de l'Empire ottoman et la mise sous mandat français (en Syrie et au Liban) et anglais (en Palestine et en Irak) des territoires proche-orientaux permit d'envisager l'ouverture d'une liaison postale terrestre entre les rives orientales de la Méditerranée et le Golfe persique, une liaison directe entre Beyrouth et Bassorah via Bagdad pouvant permettre, à terme, d'atteindre les Indes sans faire le détour par les côtes arabiques.

      Après la guerre, les frères Nairn, ayant servi en Palestine au sein des troupes néo-zélandaises, décidérent de se fixer au Proche-Orient. Après des débuts comme vendeurs et mécaniciens d'automobiles, ils ouvrirent un service de transport postal et de taxi entre Beyrouth et Haïfa, puis, en 1923, appuyés entre autres par le consul britannique à Damas, ils se lancèrent dans l'exploration de la voie du désert syrien, à destination de Bagdad, distante de 880 kilomètres. Les premiers essais effectuées au printemps 1923 se révélant concluants, ils signèrent alors un contrat de cinq ans avec le Postmaster-général du gouvernement irakien, vivement intéressé par le projet. Le service postal automobile couvrait le trajet entre Bagdad et Haïfa via Beyrouth, le trajet entre Haïfa et Port-Saïd s'effectuant en train. Les Nairn signèrent également une convention avec les autorités mandataires françaises, toujours pour une durée de cinq ans, pour assurer le trafic postal syro-libanais entre Beyrouth (port en liaison avec Marseille via Port-Saïd) et Bagdad. Ils s'engageaient à effectuer un voyage postal hebdomadaire d'une durée maximum de 60 heures entre l'Egypte et l'Irak via Beyrouth, sous peine de pénalités. Cette dernière clause, paraît-il, n'eut jamais à être appliquée, en dépit des nombreux aléas de la piste, contraintes mécaniques, crevaisons multiples et attaques de pillards. En contrepartie, ils obtenaient une subvention du Gouvernement irakien, et des facilités financières pour leurs approvisionnements en carburants, véhicules et pneumatiques.

Une Buick Touring car de la Nairn Transport Co dans le désert. Ce véhicule était initialement employé pour le service postal rapide Haïfa/Beyrouth, en correspondance avec l'Egypte.
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Crevaison dans le désert.
Le Safeway Saloon coach, fabriqué aux U.S.A. par la Six-Wheel Company de Philadelphie accueillait 14 passagers. Ces bus étaient motorisés par un six-cylindres Continental de 110 chevaux, avec boîte à huit rapports. Le poids était de sept tonnes, la vitesse maximum de 55 miles à l'heure, la charge de 1250 kilos de bagages.

      L'ouverture de la ligne eut lieu le 18 octobre 1923, en relation avec les paquebots de la P. & O. faisant escale à Port-Saïd, et l'entreprise s'avéra, dès le début, être une réussite. Le service s'étendit aux voyageurs et au frêt, et le nombre de voyages hebdomadaires fut rapidement porté à deux. Un arrêté signé le 25 décembre 1923 par le Gal Weygand, Haut-Commissaire de la République française en Syrie et au Liban (n° 2350, B.O.A.A.H.C. déc. 1923) autorisa l'acheminement des correspondances entre le Levant français et l'Irak par service extraordinaire (voiture automobile), et fixa une surtaxe postale égale au montant de l'affranchissement ordinaire. Ce tarif sera modifié par la suite, en 1925 (arrêté du 15 mai 1925, 4 piastres pour la lettre de 20 grammes), puis en 1927 (arrêté du 31 mars 1927, 4,5 piastres pour la lettre de 20 grammes), avant que les surtaxes levantines ne soient supprimées en 1929 (arrêté du 30 avril 1929).


Blanchard, La route du désert de Syrie.
Annales de Géographie. 1925, t. 34, n°189.

      Dès le courant de 1924, il est possible que les paquebots des Messageries Maritimes aient déposé directement à Beyrouth le courrier français de France pour Bagdad, via Alexandrie et la côte palestino-libanaise. En novembre 1924, une Compagnie Orientale de Transports (Eastern Transport Co), tenta d'établir une ligne routière empruntant un itinéraire depuis Beyrouth vers Bagdad, par Palmyre, circulant plus au nord que la ligne directe des Nairn. Malgré la convention signée avec le Haut-Commissariat en 1925 et l'extension de son service postal vers la Perse (sous le nom de Beyrouth-Bagdad-Téhéran-Automobiles), elle ne put résister face à la Nairn Transport Co, et fut absorbée par cette dernière en 1926, pour former la Nairn Eastern Transport Co Ltd. Les routes de Palmyre et de Téhéran furent alors abandonnées. Ponctuellement, la route initiale directe, rendue dangereuse par l'agitation fréquente des tribus en lutte contre l'autorité française, fut remplacée par un itinéraire plus méridional, plus long, mais plus sûr, par Jérusalem et ar-Rutba. Toujours en 1926, les Buicks et les Cadillac initiales, de sept places payantes, furent remplacée par des bus Safeway.Si le contrat postal arrivant à échéance au bout de cinq ans ne fut pas renouvellé avec le Gouvernement irakien, la Compagnie conserva en revanche la confiance des autorités françaises du Levant, et la Convention fut renouvellée en 1928, pour un voyage hebdomadaire subventionné à effectuer en trente-six heures. Le nouveau service prit alors le nom de Service transdésertique Syro-Irakien Damas-Bagdad.

      La compagnie, sous le nom de Near Eastern Transport Co, prit une large part dans le dévelopement de l'exploitation pétrolière, transportant personnels et matériels le long de pipe-lines. Elle mit en service de nouveaux types de véhicules, en particulier de grosses semi-remorques Marmon-Harrington. Le déclin de la Compagnie s'amorça après la guerre, face à la concurrence de plus en plus grande de l'avion, et son activité cessa dans les années 50.


Echo d'Alger 16/12/1933

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Source bilbliographique = The Syrian Desert, Ch. Phelps Grant, A. & C. Black Ltd, London, 1937.


Les lettres françaises


      Les lettres surtaxées, originaires de France et routées par l'Overland mail sont assez rares : nous en présentons ici quatre.
La première, originaire de l'Aveyron, datée du 1er novembre 1924, à destination de Téhéran, est affranchie à 1,75 franc, soit 75 centimes pour le port U.P.U. (tarif du 1er avril 1924), et 1 franc pour la surtaxe. La seconde, partie de la Côte d'Azur le 21 octobre 1925, à destination de Bagdad, est affranchie à deux francs, un franc pour l'U.P.U (tarif du 16/07/1925) et un franc pour la surtaxe.


ex coll. Coulon/2666 VO Sinais 58-2005

      Les deux lettres suivantes, en recommandé, ont été postées à la R.A.U. de Lyon-Terreaux-B, datées des 30 avril et 21 mai 1927, à destination de Bagdad.
La première est affranchie à 5,90 francs, elle porte une marque de routage par avion, et une autre par l'Overland mail. Elle porte également une mention manuscrite "manque 2 / PV établi". Il est probable que l'employé a omis de doubler la surtaxe de l'Overland mail pour le deuxième échelon de poids, erreur qui a été relevée par son bureau d'attache, lequel a dressé procès verbal, la lettre étant recommandée. L'employé de la R.A.U. a également omis d'annuler la marque de routage par avion, pourtant inutile. En effet, un timbre de Beyrouth, au dos, daté du 11 mai, indique que la lettre a voyagé par bateau jusqu'au Levant, avant d'utiliser le service automobile. Arrivée Bagdad le 14 mai 1927.


Coll. L.B.

      L'affranchissement de la seconde lettre, à 7,90 francs, se décompose en 2,40 francs pour le deuxième échelon U.P.U., 1,50 franc pour la recommandation étranger (tarifs du 1er août 1926), et 2 francs de surtaxe pour chaque tranche de 20 grammes, après l'augmentation du 15 novembre 1926. On remarque que l'étiquette rouge de routage par avion a, cette fois-ci, été arrachée, très probablement lors du passage à Marseille. Le timbre MARSEILLE ETRANGER DEPART, daté du 22 mai, figure en effet à l'emplacement de l'étiquette, confirmant le départ par bateau jusqu'à Beyrouth, timbre de transit du 30 mai au dos. Arrivée Bagdad le 4 juin 1927.


e-Bay - vendue le 31/10/2010

Affranchissement


Rainer Fuchs

      La pièce ci-dessus comporte un affranchissement remarquablement élevé. Il s'agit du fragment d'une lettre recommandée de grande taille, expédiée de Paris pour Bagdad en décembre 1926. L'affranchissement visible s'élève à 45 francs, mais il est probable qu'au moins un timbre-poste supplémentaire ait été collé sur l'enveloppe, vignette dont on devine la trace au-dessus du Merson orange. Il n'est pas aisé de reconstituer la composition du tarif, plusieurs possibilités étant envisageables pour expliquer un total aussi important, y compris l'option de la valeur déclarée.

      On peut, par exemple, envisager, pour une lettre de 300 grammes, un affranchissement de 14,10 francs pour le quinzième échelon de poids, plus 1,50 franc pour la recommandation et 30 francs pour la surtaxe de l'Overland, soit 45,60 francs ... avec un timbre-poste manquant à 60 centimes. Le coût, compte tenu du poids, est extrêmement élevé (quinze fois la surtaxe de deux francs pour l'Overland !), mais il est certain que la rapidité et la sécurité devaient être incomparables par rapport à la voie anglaise du Golfe Persique.


La règlementation


      Le service automobile spécial à destination de Bagdad fut inauguré le 18 octobre 1923. A cet époque, l'Iraq, ancien territoire ottoman, a été déclaré indépendant par la S.D.N. et plaçé sous mandat britannique. Si le pays n'était pas, nommément, membre de l'Union postale, sa situation dans le giron anglais pouvait cependant suffire à le faire considérer comme tel. Les relations internationales étaient alors régies par la Convention postale universelle signée à Madrid en 1920. L'article 4 de ce texte stipule seulement que les conditions d'application des services extraordinaires doivent être réglées directement entre les administrations intéressées. Les Conventions suivantes, signées à Stockholm en 1924, puis à Londres en 1929, n'apportent pas de modification à ce principe. Ce n'est que dans le Réglement d'exécution de la Convention de Londres, article 69, que le "service spécial automobile Palestine ou Syrie-Iraq" est nommément cité sous le titre "Services extraordinaires".

      Les conditions d'envoi du courrier de France à destination du Proche Orient, routées par l'Overland mail, sont réglées par le décret du 20 février 1924 (BOPTT n° 8/mars 1924), fixant la surtaxe à 1 franc par 20 grammes, en sus du tarif international ordinaire. Les dernières lignes de l'article 1 précisent que l'intégralité de la surtaxe est destinée à l'administration iraquienne. On peut noter que, dans le préambule, deuxième paragraphe, le texte définit la surtaxe comme se rapportant à un "service extraordinaire" (l'article 6 de la Convention de Madrid précise "à l'intérieur de l'Union"). Les autoritées françaises doivent donc considérer que l'Iraq fait partie de la sphère de l'Union, et qu'il ne s'agit pas d'un service exécuté par une administration étrangère à l'U.P.U. L'adhésion de l'Iraq à l'Union postale, à la date du 13 novembre 1924, est notifiée dans le bulletin des postes n°31.

      Nous disposons du brouillon d'une lettre (Série des Unions internationales, UI398, Archives diplomatiques - La Courneuve, remerciements à J.-B. Parenti), initialement datée du 29 février 1924, mais corrigée à une date ultérieure, adressée à la sous-direction des Unions internationales par le Sous-Secrétaire d'Etat des Postes et des Télégraphes (HR.41/24). Il y est précisé la date d'ouverture du service au public français, et les modalités du transport. On peut y lire que "depuis le 7 mars, les expéditions ont lieu de Marseille chaque vendredi par l'intermédiaire des navires de la Peninsular and Oriental [qui] livreront les dépêches à Port-Saïd d'où elles seront transportées jusqu'à Haïfa par voie ferrée, et de Haïfa à Bagdad, via Beyrouth, par le service automobile."

      Cependant, une note manuscrite en marge, datée du 7 avril 1924, demande au Ministre du Commerce et des P.T.T "d'examiner [... ] s'il n'y aurait pas intérêt, pour la rapidité des correspondances, à confier à des bateaux allant directement de Marseille sur Beyrouth la correspondance destinée à emprunter le service automobile Beyrouth-Bagdad." Nous ne disposons pas de la réponse du Ministre ...

      En juin 1925, une note des postes iraquiennes, relayée par l'Office de Grande-Bretagne, informe le Bureau international de l'Union postale de l'ouverture du service à l'ensemble des administrations postales, et en rappelle le modus operandi. Toutes les correspondances non assurées, ordinaires et recommandées, sont admises, à l'exception de colis. La mention de routage doit figurer sur chaque objet ainsi que sur l'étiquette des dépêches closes. La note donne également les itinéraires et les horaires, et règle le détail des échanges entre les offices postaux (frais de transport et de transit, emballage, étiquetage, etc ...)

 
U.P.U./B.I. Berne n°4854/154 - 15 juin 1925, remerciements à Rainer Fuchs

      Une augmentation de tarif interviendra le 15 novembre 1926 (décret du 7/10/26, BOPTT n° 32), la surtaxe étant portée à deux francs. La surtaxe sera supprimée par le décret du 17 février 1930 (BOPTT n° 5).


De Paris à Téhéran, 17 janvier 1934
Routage par l'Overland, 2ème échelon de la lettre U.P.U, pas de surtaxe

Des Merson pour Matheson ...

      Au début du mois de novembre 2012, une série d'enveloppes a été mise en vente sur un site américain d'enchères en ligne. Elles sont remarquables par le nombre de similitudes qu'elles présentent :

      - elles sont adressées au même destinataire, le Flight Lieutenant Matheson, Squadron 45 de la R.A.F., Hinaidi, Bagdad, Irak ;
      - elles sont routées "Par Overland Mail Haïfa Bagdad" ;
      - elles sont de la même écriture ;
      - elles sont envoyées de France, bien que de bureaux différents ;
      - elles sont affranchies avec des timbres-poste Merson à un franc ;
      - elles sont datées du mois d'avril 1924, pour autant qu'on puisse en juger ;
      - mais ce qui est le plus remarquable, il semble qu'aucune ne soit au bon tarif !

      Depuis le 1er avril 1924, le port de la lettre du premier échelon de 20 grammes est fixé à 75 centimes, à 1,15 franc pour le deuxième échelon, à 1,55 franc pour le troisième échelon, avec un incrément de 40 centimes par tranche supplémentaire, à quoi il convient de rajouter 1 franc par échelon de 20 grammes pour la surtaxe de l'Overland, ce qui donne des affranchissements à 1,75 franc, 3,15 francs, 4,55 francs, etc ...

      La première lettre, à quatre francs, aurait été bien affranchie dans le troisième échelon du tarif précédent, mais ne l'est plus en avril 1924. La seconde est suraffranchie de 25 centimes dans le tarif du premier échelon d'avril 1924, comme en témoigne la griffe noire "Trouvé à la boîte". Quant à la troisième, son affranchissement serait insuffisant de 10 centimes dans le tarif du troisième échelon d'avril 1924, mais largement excédentaire dans celui du deuxième échelon, le timbre-poste supplémentaire à 45 centimes apparaîssant alors comme totalement superflu.

      Il est difficile d'admettre que ce type d'expédition ait pu être admis sans un contrôle strict de l'affranchissement, il faut donc considérer que ces affranchissements sont superfétatoires ... pour autant qu'il ne s'agisse pas de montages. D'après le vendeur, aucun timbre-poste supplémentaire ne figure au dos. On notera que le Squadron 45 assurait la liaison postale aérienne Le Caire à Bagdad, ce qui n'a pas empêché l'expéditeur de privilégier la concurrence, même s'il ne regardait pas à la dépense.

      - elles sont routées "Par Overland Mail Haïfa Bagdad" ;
      - elles sont de la même écriture ;
      - elles sont envoyées de France, bien que de bureaux différents ;
      - elles sont affranchies avec des timbres-poste Merson à un franc ;
      - elles sont datées du mois d'avril 1924, pour autant qu'on puisse en juger ;
      - mais ce qui est le plus remarquable, il semble qu'aucune ne soit au bon tarif !

      Depuis le 1er avril 1924, le port de la lettre du premier échelon de 20 grammes est fixé à 75 centimes, à 1,15 franc pour le deuxième échelon, à 1,55 franc pour le troisième échelon, avec un incrément de 40 centimes par tranche supplémentaire, à quoi il convient de rajouter 1 franc par échelon de 20 grammes pour la surtaxe de l'Overland, ce qui donne des affranchissements à 1,75 franc, 3,15 francs, 4,55 francs, etc ...

      La première lettre, à quatre francs, aurait été bien affranchie dans le troisième échelon du tarif précédent, mais ne l'est plus en avril 1924. La seconde est suraffranchie de 25 centimes dans le tarif du premier échelon d'avril 1924, comme en témoigne la griffe noire "Trouvé à la boîte". Quant à la troisième, son affranchissement serait insuffisant de 10 centimes dans le tarif du troisième échelon d'avril 1924, mais largement excédentaire dans celui du deuxième échelon, le timbre-poste supplémentaire à 45 centimes apparaîssant alors comme totalement