De Livron (Drôme) à Lyon (Rhône) en 1852/1854 :
correspondance directe ou exceptionnelle ?

     Au début du XIXème siècle, les bureaux secondaires, dits de distribution, ne disposaient d'aucune prérogative particulière : ils ne possédaient pas de timbre d'origine, ils n'affranchissaient pas les correspondances en port payé, ni ne taxaient celles en port-dû. Les distributeurs se contentaient de relever, de transmettre ou de distribuer les objets postaux qui leur étaient confiés. Ce n'est qu'à partir de 1819 qu'ils seront tenus d'apposer leur timbre au départ ; ils disposeront alors de la marque répertoriée comme "type 18" par les marcophiles, créée pour l'occasion, et portant sur trois lignes le numéro du département, le nom de la distribution en écriture cursive, et le nom de la direction de rattachement en lettres capitales. En 1830, les distributeurs pourront taxer les lettres circulant dans leur arrondissement, puis affranchir toutes les lettres à partir de 1835. Mais à l'exception notable de Paris pour certains d'entre eux, ils ne taxeront toujours pas les lettres sortant de leur arrondissement, du moins pas avant 1868.

     Chaque bureau de distribution était en relation directe avec un bureau directeur de rattachement, chargé du salaire du distributeur et de la vérification de ses comptes. Le distributeur n'était cependant pas limité à la seule relation avec son bureau de rattachement ; il pouvait également, par ordre de service de l'Administration, être tenu d'entretenir une correspondance directe avec les bureaux de direction les mieux à même d'assurer la transmission du courrier (Instruction générale de 1832, article 367).


La distribution de Livron (Drôme)


     Le bureau de distribution de Livron a été mis en service le 1er décembre 1846, rattaché à la direction de Valence-sur-Rhône. Il apparaît qu'il a reçu dès cette date, en plus d'un timbre cursive au type 20 à son nom et de ses divers autres timbres de service, un timbre dateur circulaire au type a. Selon Jean-Paul Alexandre (Dictionnaire historique des Timbres et Griffes standard de l'Administration française des Postes : 1792-1914), le dateur dit type a était fourni aux distributeurs en correspondance directe ou supplémentaire avec Paris, ainsi qu'à ceux formant des dépêches exceptionnelles.


Carte routière du Département de la Drôme - 1854 - Gallica.fr
On note le tracé du chemin de fer et l'emplacement de la gare de Livron

     Le bureau de distribution de Livron devait donc, en plus de sa relation avec Paris, faire dépêche pour son bureau de rattachement, direction composée et bureau de passe de Valence-sur-Rhône, ainsi que pour les bureaux de direction voisins situés à Loriol, Etoile et Crest (ce dernier à partir de 1849, voir ci-dessous une lettre pour Crest par Loriol). Toutes ces relations sont citées par le tome 1 de l'Encyclopédie des Timbres-poste de France (Académie de Philatélie), lequel n'évoque cependant pas de correspondance directe avec Lyon.


Livron à Lyon, 28 juin 1848, par Valence-sur-Rhône, au verso Lyon 29 juin 1848

     On constate qu'en règle générale, les lettres originaires de Livron sont frappées, au recto, de la cursive et du dateur type a de cette distribution, mais également du timbre à date du bureau de direction qui réceptionne ses dépêches, et qui leur donne suite. La taxe est appliquée par le bureau en correspondance directe avec le bureau de destination, en l'occurence Valence-sur-Rhône ou Loriol, dans les cas présentés ici.


Livron à Nîmes, 21 juin 1848, par Loriol, au verso Nîmes 25 juin 1848


Livron à Crest, 1er août 1851, par Loriol, au verso Crest xx août 1851

     Dans le cas particulier où la lettre peut-être distribuée par le bureau de direction auquel Livron est rattaché, c'est le tarif local qui est appliqué.


Livron à Valence-sur-Rhône, 28 juillet 1851


Correspondance directe et correspondance exceptionnelle

     La définition de la correspondance directe est donnée par l'article 436 de l'Instruction générale de 1856, reprenant les termes de l'article 367 de l'Instruction générale de 1832. L'I.G. de 1832, article 368, précise que les distributions placées sur le trajet des malles-poste partant de Paris sont en correspondance directe avec Paris. Cette condition évoluera avec le développement du chemin de fer, un distributeur étant, par la suite, placé en correspondance directe avec Paris lorsqu'il lui est possible d'échanger directement ses dépêches avec un bureau ambulant en relation avec Paris (Chauvet, Introduction à l'Histoire postale).

     L'Instruction spéciale sur le service des distributeurs, applicable au 1er janvier 1835, signale l'attribution d'un chiffre-taxe spécifique pour Paris aux distributeurs en correspondance directe avec ce bureau, et une circulaire du 14 mars 1836 précise que ces distributeurs doivent taxer "les lettres simples pour Paris au moyen d'un timbre de taxe et [...] à la plume les lettres en passe Paris ..." Ce qui sous entend qu'ils ne doivent pas taxer les lettres en port dû adressées aux autres directions avec lesquelles ils sont en relation, disposition confirmée par les articles 28, 30 et 33 du Règlement du produit des taxes de lettres, journaux et imprimés admis dans la comptabilité des préposés des postes, sans l'intervention d'un contrôle extérieur, daté de novembre 1835.


Livron à Paris, 23 janvier 1851, correspondance directe

     La définition de la correspondance exceptionnelle est donnée par l'article 438 de l'Instruction générale de 1856, reprenant les termes d'une première circulaire d'août 1844. Si la relation entre une direction et une distribution échangeant des dépêches est toujours directe, elle devient exceptionnelle lorsqu'il existe entre ces deux bureaux une ou plusieurs directions intercalées, la distribution ne relevant pas, dans ce cas, de la direction pour laquelle elle fait dépêche. Les dispositions concernant la taxation des ports dus reste la même que dans le cas général des dépêches directes, et ce jusqu'à la mise en application de l'article 409 de l'I.G. de 1868.


Les correspondances de l’archive Palluat (1850/1852)


     Claude Henry Palluat de Besset, né le 3 avril 1806, à Saint-Étienne, était un notable fort connu dans la région lyonnaise, négociant en soie, banquier, président de la Chambre de Commerce de St-Étienne, maire de Nervieux, chevalier de la Légion d’Honneur. En 1845, il fonde la maison Palluat et Testenoire, qui disposera de 12 moulinages et 19 filatures et emploiera directement 300 ouvriers. Son négoce l’amène à entretenir une correspondance régulière avec ses fournisseurs, installés, entre autres, au sud de Lyon, en particulier dans la région de Loriol.


Livron à Lyon par Loriol, 16 septembre 1850, au verso Lyon 17 septembre 1850

     A Livron sont installés des producteurs de soie, fournisseurs de Henry Palluat, et en correspondance avec lui. Les lettres de Livron pour l'entreprise Palluat, déposées à la distribution, sont ordinairement frappées de la cursive 25/Livron et du timbre dateur circulaire type a, avant d'être transmises à Loriol. Elles reçoivent alors l'empreinte du dateur type 15 de la direction, qui les transmet à Saint-Etienne ou Lyon en dépêche directe après les avoir taxées.


Livron à Saint-Etienne, 7 novembre 1851


Livron à Saint-Etienne, 30 décembre 1851

     On rencontre toutefois, nées quelques mois plus tard dans cette même circonscription postale de Loriol, plusieurs lettres d'une présentation notablement différente. Toutes ont été postées à Livron, par Combier Frères, ou par Morin-Latour, et adressées à Henry Palluat à Saint-Etienne, ou Lyon, dans des dates comprises entre le 7 novembre 1851 et le 7 décembre 1852, pour celles que nous connaissons.


Livron à Lyon, 5 mai 1852, au verso Lyon 6 mai 1852


Livron à Lyon, 17 juin 1852, au verso Lyon 18 juin 1852

     Leurs caractéristiques sont identiques. Au recto trois marques, frappées apparemment de la même encre : une cursive de bureau de distribution 25/Livron, un timbre dateur circulaire type a, et une taxe-tampon double trait 25, montant de la taxe territoriale du premier échelon de poids dans le tarif de juillet 1850. Au verso figure également, sur chaque lettre, le timbre à date d’arrivée à Lyon du lendemain.


Livron à Lyon, 11 juillet 1852, au verso Lyon 12 juillet 1852

     On ne trouve, au recto, aucune marque d’un quelconque bureau de direction intermédiaire entre l'expédition et la réception. Ces pièces pourraient donc être définies comme des lettres territoriales, adressées par le bureau de distribution d’origine de Livron, en correspondance directe, au bureau de direction destinataire de Lyon. L’objection prévisible de l'omission de l'application de son dateur, en passe, par la direction intermédiaire de Loriol ou de Valence-sur- Rhône reposerait sur l’hypothèse d’une négligence répétée de la part de son directeur, répétition dont la fréquence semble tout de même paraître surprenante.


Livron à Lyon, 7 décembre 1852, au verso Lyon 8 décembre 1852


Veuve Guérin & fils : des cas similaires


     Tout comme les Palluat, les Guérin, originaires de l'Ardèche, sont banquiers, soyers et notables à Lyon. Ce sont des personnages très considérables de la société lyonnaise du XIXème siècle. Ils avaient naturellement des rapports épistolaires étroits avec, entre autres, les éleveurs de vers à soie de la vallée du Rhône.


Courthézon à Lyon, 12 mars 1848


Courthézon à Lyon, 19 mars 1848


Courthézon à Lyon, 11 juin 1848


Mondragon à Lyon, 17 décembre 1848


Mondragon à Lyon, 17 juin 1849

     Les cinq correspondances ci-dessus proviennent de deux localités du Vaucluse, situées sur la route de la malle circulant entre Marseille et Lyon, et dont l'activité repose en partie sur l'élevage du vers à soie. Ces deux localités sont dotés le même jour, début décembre 1845, d'une distribution, l'une dépendant de Sorgues, l'autre d'Orange, et qui sont placées dès l'origine en correspondance directe avec Paris - comme le sera Livron exactement un an plus tard. On remarque que les lettres, adressées à Lyon, ne portent pas le timbre à date de leur bureau de direction respectif. On note aussi que la distribution de Mondragon n'applique pas de dateur.


Livron à Lyon, 2 juillet 1853, au verso Lyon 3 juillet 1853

     On trouve, au départ de Livron, des lettres en tout point identiques aux enveloppes de l'archive Palluat. Nous connaissons deux lettres, datées de juillet 1853, sans marque de direction intermédiaire, distribuées à Lyon le lendemain.


Livron à Lyon, 18 juin 1854, au verso Lyon 19 juin 1854

     Enfin, deux autres lettres, un peu plus tardives, encore originaires de Livron, en avril et juin 1854. A cette date, le timbre-dateur nominatif perlé type 22 n'est toujours pas en dotation à Livron, et le timbre-dateur du bureau de direction intermédiaire brille toujours autant par son absence.


Jean-Nicolas Belmont, négociant


     Les frères Belmont sont des négociants et soyers lyonnais, dont l'ainé, Jean-Nicolas, tient un important commerce de tissus précieux. Il reçoit à ce titre des lettres-missives en provenance de Livron présentant la même configuration de timbrage que celles vues précédemment.


Livron à Lyon, 29 mars 1854


Une correspondance exceptionnelle ?


     Plusieurs bureaux de direction étaient interposés entre la distribution de Livron, et la direction de Lyon, comme par exemple ceux de Loriol et de Valence-sur-Rhône, pour ne citer que les plus méridionaux. Nous avons vu que cette disposition se retrouve dans le texte d’une circulaire de 1844 : "On appelle exceptionnelle la correspondance que l'Administration est, dans certains cas, obligée d'ouvrir entre un bureau de direction et un bureau de distribution auxquels un ou même plusieurs bureaux de direction se trouvent interposés."

     On ne connaît pas, à l'heure actuelle, la liste des bureaux placés en correspondance exceptionnelle, ni les périodes particulières de leur mise en correspondance. L'absence, au recto, du timbre dateur de direction s'explique, la plupart du temps, par la négligence, toujours possible, du directeur du bureau intermédiaire. Dans le cas qui nous occupe, l'existence de plusieurs lettres présentant cette même anomalie caractéristique, sur une période de temps limitée, pourrait cependant permettre d'avancer l'hypothèse tentante, même si elle ne repose sur aucune source tangible, de l'établissement d'une correspondance exceptionnelle entre Livron et Lyon dans les années 1852-1854.

     Nous savons par l'Encyclopédie des Timbres-poste de France que Livron opérait une correspondance directe supplémentaire avec Paris à partir de 1851. Il se trouve qu'à partir du mois de juin 1851, un service postal supplémentaire fut établi entre Paris et Marseille, le tronçon entre Chalon-sur-Saône et Avignon, via Lyon et Livron, étant desservi par une malle-poste. Durant trois ans, jusqu'à l'arrivée à Valence-sur-Rhône, fin juin 1854 de la ligne de chemin de fer partant d'Avignon, ce service supplémentaire doublait alors le service ordinaire desservant Livron par un courrier d'entreprise. (Lux, La Poste ferroviaire) Nous pouvons raisonnablement penser qu'entre juin 1851 et juin 1854, la dépêche directe de Livron pour Paris était confiée au courrier d'entreprise, et la dépêche supplémentaire à la malle-poste.

     Le but des correspondances exceptionnelles était d’accélérer la transmission des lettres. Peut-on envisager que des notables aussi influents que pouvait l’être, à l’époque, les Palluat, Guérin ou Belmont aient pu obtenir de l'Administration, ne serait-ce que pour cette brève période, de faire bénéficier le courrier de l’industrie lyonnaise de la soie d’une telle mesure * ? Le fait que Livron ait été en correspondance directe avec Paris n'aurait-il pu faciliter l'établissement d'une relation identique avec la capitale régionale ?

* : on note que la période Palluat (novembre 1851/décembre 1852) et la période Guérin/Belmont (juillet 1853/juin 1854) ne se recoupent pas.

     Il reste que les historiens postaux nous enseignent que la notion de correspondance exceptionnelle, dont aucun ordre de mise en place n'a été conservé, en particulier après 1849, peut quasiment être oubliée pour la description de nos lettres. "L'histoire postale ne peut pas s'apparenter à un calcul de probabilités", nous dit Michèle Chauvet. Acceptons donc cette sentence, mais avec quelques regrets, tout de même :...


Livron pour l'Ardèche : un cas supplémentaire

     La lettre ci-dessous, écrite le 6 juin 1852, par le sieur Rochedieu, producteur de soie à Livron (Drôme), et postée au bureau de distribution de la ville le 10 juin suivant, est adressée à Mme Chambrun, éleveuse de vers à soie à La Mastre, Ardêche.


Livron à La Mastre, 10 juin 1852, au verso La Mastre 12 juin 1852

     Elle porte au recto trois marques, dont deux frappées apparemment de la même encre : une cursive de bureau de distribution 25/Livron et un timbre dateur circulaire type a du 10 JUIN 1852. La troisième marque est une taxe-tampon double trait 25, montant de la taxe territoriale du premier échelon de poids dans le tarif de juillet 1850, curieusement frappée par dessus le dateur type a, et très faiblement encrée. Au verso figure le timbre à date de LA MASTRE (6) 12 JUIN 52.

     Comme sur les lettres précédentes, on note l'absence du timbre dateur du bureau de direction, soit de Loriol, soit de La Voulte, soit encore de Valence-sur-Rhône, par où cette lettre aurait dû le plus normalement transiter. Même si la négligence du directeur paraît être la raison la plus logique à cette absence, il est troublant de constater la similitude de dates avec les lettres précédentes. Quelle qu'en soit la cause, cette répétition des anomalies de marquage sur les courriers de Livron en 1852 paraît pour le moins étrange.

Le Pouzin : un curieux timbre dateur

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