Les levées exceptionnelles de

PARIS-ST. LAZARE *PAQUEBOTS*


      En 1863, le principe de la levée exceptionnelle payante est introduit dans le système postal français. L'article premier de la loi du 9 mai en expose l'idée générale : les lettres déposées après la dernière levée précédant le départ des trains du soir pourront malgré tout profiter, moyennant une taxe supplémentaire, d'une expédition par les bureaux ambulants de nuit. Des levées sont effectuées selon différents délais déterminés, et le courrier ainsi ramassé, s'il satisfait aux conditions d'affranchissement, est confié aux ambulants peu avant leur départ. Ce service, initialement réservé à quelques bureaux parisiens, est peu à peu étendu à plusieurs autres villes françaises, jusqu'à la Première Guerre mondiale. Il n'a, par la suite, plus guère été pratiqué, la vitesse accrue des moyens de transport ferroviaire, automobile, puis aérien, de même que le développement du téléphone, ou encore la création des lettres-télégramme, le rendant pratiquement inutile.

      On continue cependant d'en trouver l'évocation dans plusieurs textes postérieurs à la Grande guerre.
- La loi du 29 mars 1920 relève la surtaxe forfaitaire de levée exceptionnelle à 15 centimes, avant qu'une instruction ultérieure ne précise que ce service est "provisoirement suspendu". Il sera rétabli en février 1921.
- L'article 39-1 de la convention postale de Stockholm de 1924 stipule que les Administrations sont autorisées à charger d'un droit additionnel les correspondances déposées dans un délai de dernière heure, disposition reprise dans les conventions ultérieures.
- L'article 7 du décret du 22 janvier 1926, conséquence de l'application de la convention de Stockholm, dispose que les objets de correspondance à destination de l'étranger, déposés dans les boîtes réservées aux levées exceptionnelles, acquitent obligatoirement, en sus des taxes ordinaires dont ils sont passibles, la surtaxe prévue pour le régime intérieur. Cette disposition sera au moins conservée jusqu'à la fin de la décennie suivante (article 8 du décret du 8/07/1937).
- La loi de finances du 29 avril 1926 porte le supplément forfaitaire de levée exceptionnelle à 25 centimes.


Les marques de CHERBOURG-MARITIME


      En novembre 1910 (Bull. de la Chambre de Commerce de Paris, 19/11/1910), l’Administration des Postes informe le public qu’elle a fait placer une sacoche-boîte auprès des fourgons utilisés pour le transport des dépêches dans les trains en relation avec les transatlantiques pour Le Havre et Cherbourg. Les lettres ordinaires, non surtaxées, peuvent y être déposées jusqu’au départ des convois et sont emportées pour être remises aux paquebots. Auparavant, les lettres devaient être déposées dans les boîtes de la gare Saint-Lazare (salle des Pas-Perdus ou plate-forme) dont la levée s’opère environ une demi-heure avant le départ des trains transatlantiques (B.C.C.P., 8/10/1910).


Lettre écrite à Paris, mise à la boîte à la gare St-Lazare.
Oblitération en passe Cherbourg-Maritime, 22 avril 1925.

      En août 1926, un service de levées exceptionnelles est organisé dans les gares parisiennes du P.L.M. et du Nord pour les départs en dernière limite d'heure à destination de certains pays étrangers (journal Le Temps, 30/07/1926). Cette mesure est ensuite élargie aux gares d'Auterlitz, de l'Est et de Saint-Lazare. Nous connaissons dès ce moment des lettres à destination de l’Amérique du Nord, surtaxées à vingt-cinq centimes, originaires de Paris et acheminées par les trains du réseau de l'Ouest et les paquebots transatlantiques. Le premières sont oblitérées par une machine Daguin au port d’embarquement de Cherbourg. Il est possible qu'à cette date, les lettres déposées dans la sacoche-boîte de quai de la gare Saint-Lazare soient devenues redevables de la surtaxe des levées exceptionnelles. Ces lettres ont alors été transmises à l'adresse du bureau de Cherbourg-Maritime pour être confiées en dernière minute au bureau ambulant.


Oblitération Daguin de Cherbourg-Martitime en passe, 26 janvier 1927

      Dès la fin des années vingt, le bureau de Cherbourg-Maritime a aussi utilisé une machine Krag pour l'oblitération en passe des affranchissements des levées exceptionnelles de Paris Saint-Lazare non annulés au départ.


Empreinte Krag CHERBOURG-MARIT. MANCHE, 18 janvier 1928

      L'existence de lettres plus tardives, portant une empreinte mal appliquée à Paris Saint-Lazare et une oblitération complémentaire de Cherbourg, confirme sans aucun doute que les lettres levées en dernière minute et traitées sur le quai de la gare, comme nous le verrons plus loin, ont été adressées sous dépêche à Cherbourg.


Krag de Paris Saint-Lazare, 28 septembre 1938 et griffe administrative de Cherbourg-Maritime

      Ci-dessous, un autre exemple de lettre ayant échappé à l'oblitération à Paris, et traitée en passe par le bureau maritime de Cherbourg. Elle ne porte aucune marque apparente d'une origine parisienne, mais son affranchissement surtaxé pour la levée exceptionnelle est très partiellement oblitéré à droite par une flamme à lignes ondulées, que l'on peut supposer être celle de la gare Saint-Lazare. Elle porte en supplément trois dateurs de Cherbourg-Maritime du 19 décembre, jour de départ du Leviathan des U.S. Lines pour New-York (Chicago Tribune, 19/12/1931). Un dateur d'arrivée du bureau californien de Pacific Palisades daté du 30 décembre confirme la traversée.


      Enfin, l'enveloppe ci-dessous ne porte pas de timbre de départ, mais l'en-tête d'un organisme parisien, et dont l'affranchissement à 2,65 francs (deuxième échelon de poids et surtaxe de levée exceptionnelle) est annulé par une griffe administrative de CHERBOURG MARITIME. Elle est certainement passée par le bureau spécial de Saint-Lazare, où elle a échappé à l'annulation, peut-être en raison de sa taille, omission réparée au passage à Cherbourg. Le timbre d'arrivée américain du 11 février, au dos, confirme le départ par le Berengaria le 4 février 1933.



Les marques LE HAVRE-TRANSAT



Coll. A. Q.

      La lettre ci-dessus, à destination de New-York porte quatre dateurs circulaires manuels type 1904 très peu lisibles, et apposés par le bureau maritime LE HAVRE TRANSAT en date du 5 février 1936. L'affranchissement est ici de 2,65 francs, qui correspondent à un second échelon de poids pour l'étranger dans le tarif d'août 1926, plus la surtaxe de 25 centimes.


Le Figaro 2 février 1936
      Comme on peut le lire dans le Figaro du 2 février 1936, le Champlain, de la C.G.T., appareillait du Havre trois jours plus tard. L'origine présumée et l'aspect de la lettre laissent penser qu'elle a été préparée pour être remise au bureau des levées exceptionnelles de Saint-Lazare le 5 février. Peut-être est-elle parvenue trop tard pour la levée exceptionnelle, et a t'elle été mise sous dépêche pour être traitée en passe par le bureau maritime du Havre.

Premières dates ...

      La première date actuellement connue pour une levée exceptionnelle surtaxée traitée en passe à Cherbourg-Maritime est celle du 8 septembre 1926 (VSO 73 Sinais). Ci-dessus, une lettre du 22 décembre 1926 de Paris pour les Etats-Unis, affranchissement oblitéré par une machine Daguin. Pour une oblitération Krag, le première date connue est celle du 18 janvier 1928 (voir l'illustration plus haut).

      La première date connue pour une levée exceptionnelle surtaxée oblitérée à Paris Gare-Saint-Lazare est légèrement postérieure, le 3 (?) avril 1927, sur une lettre en double port de Paris pour New-York, routée par l'Olympic de la White Star Line, via Cherbourg. L'affranchissement est oblitéré par des timbres dateurs manuels. Pour une oblitération Krag, la première date actuellement connue est celle du 23 juillet 1930 (voir l'illustration plus bas).


Les marques PARIS GARE-SAINT-LAZARE


      Depuis 1868, c'est le bureau de quartier n° 18, puis 118, situé rue d'Amsterdam, qui est le plus proche de la gare Saint-Lazare. D'après J.-C. Delwaulle (Les cachets manuels des gares de Paris de mars 1876 à nos jours, Feuilles Marcophiles hors-série 1985), il existe un bureau annexe de gare, non ouvert au public et rattaché administrativement au bureau 18/118. Ce bureau a utilisé plusieurs modèles de timbres à date depuis le type 17, avec le libellé PARIS GARE ST-LAZARE. Il recevait les correspondances de son bureau d'attache, de la recette principale de Paris, d'un certain nombre de bureaux de quartier ayant un rôle de bureaux de passe ainsi que celles recueillies dans les boîtes de la gare. Il procédait à l'oblitération et au tri des correspondances. De plus, G.P. Cuny et P. Lux signalent l'existence d'un bureau spécial dans l'enceinte de la gare, qui serait situé sur les quais de départ selon l'un, au guichet des renseignements selon l'autre, entre 1933 et 1941.

      A partir d'avril 1927, on rencontre des lettres pour les États-Unis, ou en transit par les États-Unis, dont l'affranchissement ordinaire de 1,50 franc (tarif international de la lettre depuis août 1926), majoré de 25 centimes, porte une oblitération manuelle à l'intitulé de PARIS GARE-SAINT-LAZARE. Cette oblitération est donc apposée par un agent qui opère dans l'enceinte même de la gare Saint-Lazare. Les levées s'effectuent ponctuellement, permettant au courrier à destination des États-Unis et au-delà de profiter, au dernier moment, du départ des trains pullman assurant la correspondance des passagers avec les paquebots transatlantiques partant de Cherbourg ou du Havre. Aucun texte officiel installant cette procédure n'est, pour l'instant, connu, bien qu'on puisse en trouver l'évocation, entre autre, dans un rapport du Sénat (Impressions) daté du 14 décembre 1928.

coll. bc92

Lettre du 26 avril 1930, adressée aux États-Unis par le paquebot Aquitania de la Cunard.
Affranchissement à 1,75 franc. Oblitération manuelle PARIS GARE-SAINT-LAZARE, levée de 10H50

      L'entrefilet ci-contre, inséré en dernière page du quotidien Le Figaro du 22 avril 1930, donne la date d'escale à Cherbourg du transatlantique anglais Aquitania, mais il ne donne pas les heures de départ du train correspondant depuis la gare Saint-Lazare. L'heure de levée de la lettre étant 10 h. 50 du matin, le délai est largement suffisant pour qu'elle ait pu "attraper" le paquebot avant son départ de Cherbourg.

      On remarque que certains des timbres à date manuels appliqués sur le quai de la gare ne portent pas d'indication horaire, celle-ci étant remplacée par une étoile. On peut envisager plusieurs raisons possibles pour cette configuration, lorsque les enveloppes étaient trop grandes pour passer dans la machine, ou que les timbres-poste étaient mal positionnés, lorsque des lettres étaient remises à la main en toute dernière minute, en cas de saturation ou d'indisponibilité de la machine mécanique, ou encore pour des lettres traitées en dehors du cadre strict du service, pour une raison ou pour une autre.

coll. B. Platzer

      L'enveloppe ci-dessus, envoyée de Paris pour les U.S.A. le 1er décembre 1935, porte la surtaxe de 25 centimes. Elle est routée par le paquebot President-Harding des United States Lines, et elle est revêtue d'une double frappe manuelle du timbre à date PARIS GARE-SAINT-LAZARE. L'indication de levée y est remplacée par un astérisque, peut-être du fait que le départ du paquebot ayant été retardé, l'installation du bureau spécial a pu ne pas avoir eu lieu ce jour-là. Ci-dessous, une enveloppe hors-norme avec un affranchissement au deuxième échelon de poids et une surtaxe de levée exceptionnelle portant des oblitération manuelles du 5 janvier 1939.

L'incendie du Paris

      Le 18 avril 1939, le paquebot Paris est amarré à un quai de la gare maritime du Havre, prêt à partir le lendemain vers New-York. Un incendie se déclare à bord en fin de soirée, et se propage à l'ensemble du navire, lequel finit par chavirer et couler. Le Paris sera remplacé au pied levé par le Champlain, qui appareille du Havre le 20 avril.


Coll. Marcorse - http://marcorse.blogspot.com

      La lettre ci-dessus a été préparée pour la levée exceptionnelle au départ du train transatlantique devant quitter la gare Saint-Lazare le 19 avril 1939 à 9h48. Le routage est demandé par le "SS Paris Le Havre 19 avril", et l'affranchissement comporte les habituels vingt-cinq centimes de surtaxe. Cependant, le report du départ du paquebot ayant rendu ces dispositions caduques, l'urgence n'était plus de mise. Le routage a été modifié (Champlain 20 avril), la lettre étant traitée avec le produit de la levée de 11 heures, pour partir par la voie ordinaire.


Les marques PARIS-ST. LAZARE *PAQUEBOTS*


      Grâce à l'habileté du regretté Bernard Platzer, incomparable dénicheur de sources inédites, nous disposons d'une description de première main du bureau exceptionnel des transatlantiques de la gare Saint-Lazare. Dans une livraison du journal Le Petit Parisien datée du 26 mars 1931 figure en effet un article détaillant sur le vif l'expédition en dernière minute des lettres destinées aux transatlantiques de Cherbourg :

De passage à la gare Saint-Lazare, il y a quelques jours, nous assistions à la réception des correspondances destinées à être expédiées par un train transatlantique se dirigeant sur Cherbourg.
L'installation postale faite à proximité du train en partance à l'intérieur des grilles est des plus précaires.
Deux petites tables, une balance Roberval, une machine à timbrer à grand rendement, un timbre à date.
Deux employés reçoivent les correspondances ; ils doivent vérifier les destinations, contrôler les affranchissements ; d'autres annulent les timbres, font des liasses, mettent en sacs.
Voilà un bureau de poste.

      Ce "bureau précaire", quelle que soit l'appellation qu'il porte officiellement, est donc installé ponctuellement, en bout de quai, à l'air libre, seulement quelque temps avant le départ de chaque train transatlantique en liaison avec les Amériques. Nous trouvons ici la justification de nos deux marques, l'empreinte manuelle PARIS GARE-SAINT-LAZARE vue plus haut et l'empreinte mécanique Krag PARIS-ST. LAZARE *PAQUEBOTS*, cette dernière faisant son apparition dans le courant de l'été 1930,

      Ci-dessus une lettre (coll. L. Bonnefoy) postée au bureau des paquebots de la gare Saint-Lazare le 23 juillet 1930, adressée en Californie via Le Havre. Le transport aérien est demandé pour le trajet aux Etats-Unis. Le montant de l'affranchissement de 1,50 franc pour le port UPU plus 25 centimes de surtaxe, et 2 francs par dix grammes pour l'avion, semble largement excédentaire. La lettre ci-dessous, datée du 16 décembre 1930, est affranchie pour le tarif U.P.U. ordinaire du mois d'août 1926, soit 1,50 franc, et porte en plus la surtaxe de levée exceptionnelle. De Paris pour les U.S.A., elle est routée par le paquebot Paris, de la Compagnie Générale Transatlantique, parti du Havre le même jour, et arrivé à New-York le 22 décembre suivant.


Coll. DaDo

      Ci-dessus, une lettre postée au bureau des paquebots de la gare Saint-Lazare le 11 février 1931, adressée à Boston. Elle a voyagé, via le train de Cherbourg, par l'Olympic de la White Star Line. En dessous une lettre (coll. S. & M. Catherine) postée au bureau des paquebots de la gare Saint-Lazare le 18 mars 1932, adressée à New-York. Elle a voyagé, via le train de Cherbourg, par le Bremen de la Norddeutscher Lloyd, affranchie au troisième échelon de poids dans le régime de l'U.P.U., plus la surtaxe de levée exceptionnelle.

Cassures des timbres à date

      A la vue des marques présentes sur les enveloppes, il semble bien qu'il n'y ait eu qu'une seule machine affectée au service spécial de la gare Saint-Lazare, une Krag à empreinte continue de la deuxième génération, comportant des blocs dateurs sur une seule ligne. Les deux timbres dateurs se distinguent l'un de l'autre par quelques petits détails, en particulier par la séparation entre les mots PARIS et ST-LAZARE, un tiret sur l'un, un point sur l'autre. On remarque que l'un des timbres, celui de droite sur l'illustration ci-contre, présente une cassure à la droite du cercle dès la fin de 1932. Une amorce de cassure apparaît en haut à gauche, au niveau du P de PARIS, mais elle ne s'aggravera pas. Le cercle de l'autre timbre, à gauche sur l'illustration, apparaît plus fortement détérioré dès 1935, avec de larges cassures de chaque côté. Si le lettrage reste très net, les petites étoiles entourant le mot PAQUEBOTS se dégradent par contre quelque peu au fil du temps. L'aspect général de la marque ne changera plus guère après 1935. En règle générale, et mis à part leurs cassures caractéristiques, ces empreintes sont très bien frappées. Les heures de levée sont assez variables, celles présentées ici vont de 8h20 à 14h10, avec une forte proportion de départs aux alentours de midi. Lorsque l'indication de l'heure de levée ne compo