Un Galvano Cassé
au Musée de la Poste


Musée de la Poste

               Le site internet du Musée de la Poste présente, dans la base de données de ses collections, un galvano de cent-cinquante clichés de la Cérès de 1848 qui porte une remarquable particularité : la quinzième rangée est en effet complètement détachée du reste de la planche. Tout collectionneur un tant soit peu avancé fait immédiatement la relation avec la mythique Grande Cassure du vingt-cinq centimes de 1871, et il se précipite sur son logiciel de traitement d'images pour réaliser un agrandissement propre à lui en révéler la valeur faciale, car le commentaire du Musée, au vu des encoches de calage de la dentelure, définit l'objet comme étant une planche du n° 36 du catalogue Yvert et Tellier, pour l'impression de timbres-poste à dix centimes*.

* info relevée par notre camarade BC92.

               Las, les contraintes de la bande passante de l'internet ne permettent d'obtenir qu'une inexploitable bouillie de pixels. Mais le doute s'est immiscé dans l'esprit de l'apprenti historien en mal de découvertes, qui élabore aussitôt une stupéfiante extrapolation : à l'évidence, le galvano cassé du Musée de la Poste ne peut être que le panneau de gauche de la deuxième planche du vingt-cinq centimes Cérès, que les chercheurs désignent sous le vocable A2, c'est à dire celui de la Grande Cassure. Le Musée s'est forcément trompé dans son référencement. Il serait en effet totalement inconcevable qu'il ait pu exister un autre galvano cassé exactement à cet endroit. Mais si cette cassure est encore visible de nos jours, cela remet en cause toutes les théories savamment imaginées depuis un siècle par les chercheurs de tout poil, les Chase, Germain, Cailler et consorts. Cela signifie que la réparation n'a jamais eu lieu, que les soi-disant "retouches" ne sont que le résultat d'une mise en train défectueuse, en cours de dégradation, ce qui a produit les soi-disant "états", leur soi-disant chronologie n'étant qu'aléatoire, et que les soi-disant "remplaçants" n'ont jamais existé, ce ne sont tout bêtement que des impressions antérieures à la cassure. Comment tous nos grands chercheurs ont-ils pu se tromper à ce point ? Simplement parce que n'ayant jamais vu ce galvano, et n'étant pas typographes de métier, ils étaient complètement ignorants des phénomènes produits à l'impression. En conclusion, des tas de gens ont écrit des choses fausses sur ce qu'ils ne connaissaient pas, et ces bêtises écrites sont devenues réalité pour tous les pauvres collectionneurs qui ont bien voulu y croire. Un rêve se brise.

               Est-ce vraiment la bonne conclusion ? Non. Que les collectionneurs qui ont cru aux écrits des Anciens, et qui y croient encore, se rassurent, tout ce qui précède n'est qu'un sophisme. Comme pour le cheval de Sophocle, la démonstration du galvano A2 non réparé, si elle peut peut-être passer pour juste sur le principe, repose sur un préambule erroné. Il a bel et bien existé, à un moment ou a un autre, au moins deux galvanos cassés au niveau de la quinzième rangée, et celui présenté sur le site du Musée de la Poste n'a jamais imprimé de vignettes à vingt-cinq centimes. Grâce à l'extrême obligeance de Jean-François Brun (et par l'entremise de Laurent Bonnefoy), nous avons pu obtenir une image en bonne définition de ce galvano, qui n'a indubitablement pu produire que des timbres-poste à dix centimes, et rien d'autre. Le commentaire du Musée est donc correct, et les révisionistes en sont réduits à envoyer leurs élucubrations aux oubliettes.


J.-F. Brun, image inversée

               En ce qui concerne les galvanos à vingt-cinq centimes conservés au Musée de la Poste, Jean-François Brun ne se souvient pas en avoir vu aucun cassé ou réparé, sinon il aurait bien évidement cherché à obtenir une photo de la fameuse bande des remplaçants d'avril 1873. A sa connaissance, personne ayant travaillé à la reconstruction des planches n'a jamais vu le galvano A2, et ce depuis prés d'un siècle. Ni Caroll Chase, ni Pierre Germain, qui a eu accès au Musée, ne l'ont vu, sinon il y en aurait eu des reproductions et des descriptions dans la presse philatélique. Jacques Fromaigeat, Pierre de Lizeray, Robert Joany ont fréquenté assidûment le Musée. Jean-François Brun les a connus, et il est certain que s'ils l'avaient vu, ils lui en auraient parlé. Mais il reste de nombreuses choses à découvrir dans les réserves du Musée de la Poste. Le fameux galvano A2 y dort peut-être encore avec sa bande de remplaçants, attendant d'être découvert. Peut-être demain ... Le rêve persiste.

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