Cosme García
et la machine à timbrer

          Il est généralement admis que la première machine à timbrer les lettres missives a été l'œuvre de l'anglais Pearson Hill, qui réalisa une première empreinte "officielle" le 17 septembre 1857 à l'indicatif du Chief Office de Londres. Cette machine à pédale était lente et peu fonctionnelle, et elle fut suivie l'année d'après par un modèle manuel de bureau beaucoup plus simple qui délivrait également des empreintes jumelées. Ce système inspira entre autres, dans les décennies suivantes, l'italien Enrico Dani et le français Eugène Daguin.


Machine à timbrer duplex de Pearson Hill, 1858

          On trouve cependant dans les archives de l'Office espagnol des patentes et marques (O.E.P.M.), sous le numéro 1434 en date du 16 mai 1856, un brevet déposé par les sieurs García, Herrero et Lozano pour une machine à timbrer à encre, confirmé par une ordonnance royale du 13 septembre 1856. L'invention est adoptée par la Direction générale des postes espagnoles, et les premières marques font leur apparition à Madrid au début de l'année 1857. Elles sont produites par un timbre dateur en acier d'environ 20 millimètres de diamètre, appliqué en timbrage et non en oblitération, dont la caractéristique la plus évidente est d'afficher le nom du mois en lettres inclinées, contrairement au modèle antérieur, qui était d'un diamètre légèrement supérieur. Un rapport adressé en octobre suivant à la Direction de l'Institut royal industriel fait état de plusieurs (il y en aurait eu huit à ce moment) machines à timbrer les lettres en service régulier dans les bureaux de poste madrilènes, le brevet étant ainsi pleinement mis en pratique. L'usage s'en répendra dans tout le pays, y compris dans les bureaux ambulants, à partir d'avril 1857, bien avant la mise en œuvre du procédé britannique, et il durera une vingtaine d'années.


Almeria, 28/02/1857 pour Madrid, 04/03/1857

          Le brevet d'invention ne montre, hélas, aucun plan ou croquis de l'appareil, et nous n'en connaissons aucune représentation ultérieure. La description faite lors du dépôt de brevet concerne une petite machine composée d'une armature de fer, d'un piston et de plusieurs rouleaux qui puisent et distribuent l'encre sur une platine en bronze. Il est précisé que des essais ont permis de timbrer instantanément plusieurs lettres avec la plus grande rapidité et propreté. Une circulaire de la Direction des postes datée du 19 avril 1857 (Annales des ordonnances des postes d'Espagne) donne des instructions précises aux utilisateurs des machines à timbrer. Elles doivent être nettoyées à la mousse de savon et rincées à l'eau claire, principalement le timbre, qui doit être remis comme neuf chaque jour. Le même traitement doit être appliqué deux fois par semaine à l'encrier, à la platine et aux rouleaux. Il ne doit pas être mis trop d'encre dans l'encrier, lequel doit être vidé tous les soirs, pour éviter qu'il ne s'encrasse. La machine doit être couverte lorsqu'elle ne sert pas. Afin que l'empreinte soit parfaitement nette, il faut manipuler le levier sur toute sa course, ce qui permet aux rouleaux de bien répartir l'encre. Lorsque l'empreinte est mal encrée, il est nécessaire de tourner la clef de l'encrier deux ou trois fois, et toutes les cent frappes environ. Quand au timbre, il faut veiller à lui conserver son plan bien horizontal, en jouant sur les biellettes et les ressorts. Il est admis que le système puisse être momentanément hors service, et dans ce cas le timbre peut être muni d'un manche pour être utilisé manuellement. En note finale figure la liste des accessoires accompagnant chaque machine : huit pièces centrales portant le nom des mois restant pour l'année en cours (1857), ce qui indique que les machines ont été livrées au mois de mars, une boîte de chiffres pour former la date du jour, un manche et un tournevis.

          Les annales des postes font état de deux-cent-cinquante machines à timbrer commandées en 1857, inscrites aux budgets de 1857 et 1858 pour six-cent-mille réaux de billon, entretien compris. Au total, leur nombre s'élèverait à six-cent, réparties sur tout le territoire espagnol. Les empreintes sont en général assez bien frappées, bien que plusieurs notes aient été envoyées aux employés des postes pour les rappeler à leurs devoirs en matière d'application des marques. Ces notes regrettent que les efforts de l'Administration pour doter les bureaux de machines perfectionnées, munies de timbres en acier fabriqués à l'étranger (gage de qualité compte-tenu de la faiblesse industrielle espagnole) et des meilleures encres, le tout ayant engagé des frais extraordinaires, ne servent souvent à rien, ou si peu, si les agents n'y mettent pas du leur. Il en résulterait que dans plusieurs provinces, les nouvelles empreintes mécaniques sont aussi mal frappées que les anciennes marques manuelles, pour le plus grand préjudice des intérêts publics et particuliers.


Service intérieur de Madrid, 20/12/1857

          On rencontre ces marques apposées dans les bureaux centraux des démarcations postales, affichant le numéro de leur démarcation, dans les bureaux secondaires, affichant le nom de leur démarcation, dans les bureaux ambulants, affichant le sens de leur ligne ferroviaire, dans les bureaux d'échange avec les pays étrangers, etc ...

          La machine de Cosme García est conçue, à l'origine, pour timbrer le courrier, c'est à dire pour y apposer un nom de lieu et une date, l'oblitération des timbres-poste se faisant alors manuellement, à l'aide d'une marque en forme de grille. Une ordonnance du 7 octobre 1858 prescrit que les bureaux de poste principaux, d'échange et agrégés de première classe doivent utiliser les nouvelles marques manuelles d'oblitération portant un numéro de démarcation postale (le type "roue de charette"). Les autres bureaux de moindre importance devront employer leur timbre à date pour l'oblitération des figurines postales.

          Il est curieux de constater, dans quelques rares bureaux espagnols, l'existence de marquages mixtes, l'oblitération étant réalisée à l'aide du dateur manuel de 1854, le timbrage étant mécanique. Les bureaux connus sont Aranda de Duero, Briviesca, Calella, Carthagène, Manresa, Palma de Mallorca, Piedrahita, Rincón de Soto et Zafra. Certains, comme Calella, ont réalisé des oblitérations sans dateur. On pourrait penser que ce phénomène est resté temporaire, lors de la perception de la machine, mais à Carthagène, par exemple, il se constate durant toute la décennie 1860.


Calella, 2 août 1860, timbrage mixte

Colonies et étranger


Catalogue des brevets d'invention et London Gazette, 1857

          L'invention de Cosme García a fait l'objet de dépôts de brevets dans quelques pays étrangers, dont au moins la France et le Royaume-Uni dès 1857, bien qu'elle n'y ait pas été exploitée postalement. En revanche, des machines ont été mises en service dans les colonies espagnoles. Largement utilisée à Cuba, on en trouve les marques apposées dans plus de quarante bureaux à partir du printemps de 1860, et également à Saint-Domingue.


Pozas, 15/03/1862

          Les Philippines ont également été dotées d'au moins une machine, en service à Manille vers 1864.


Manille, 23/03/1865

          A Porto-Rico, le bureau central de San-Juan a été doté d'une machine dans le courant de l'année 1861 (Archives historiques nationales ES280079AHN/16/Ultramar 1107 exp.4), laquelle elle est restée en exploitation jusque vers la fin de la décennie.


Porto-Rico, courrier officiel du 7/05/1868

          La machine à timbrer les lettres missives de Don Cosme García peut donc faire figure de précurseur en la matière, ayant été fonctionnelle antérieurement aux premiers essais officiels de Pearson Hill. Elle est cependant passée complètement inaperçue des spécialistes, probablement parce que les empreintes laissées sur les lettres ne présentent aucun caractère d'originalité par rapport aux marques manuelles ordinaires. N'étant pas oblitérantes, elles ne nécessitaient pas d'être doublées, et elles ne présentent pas les marques parasites qui font le bonheur des marcophiles français, et qui permettent de distinguer avec certitude l'utilisation mécanique de l'utilisation manuelle.

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