Boîtes M obiles
sur la   Seine

          Au mois de mars 1816, l'Élise, navire construit au Royaume-Uni et venant de Londres, remonte les méandres de la Seine en direction de Paris grâce à un mode de propulsion novateur : la vapeur. Il sera utilisé au cours de l'année suivante pour effectuer un aller et retour quotidien entre Elbeuf et Rouen. La vapeur devient le moteur de la Révolution industrielle, utilisée dans les usines comme pour les transports. L'Administration des postes, consciente de l'intérêt de ce nouveau mode de locomotion, fait introduire l'obligation de transport gratuit de ses dépêches dans le cahier des charges des nouvelles lignes de chemin de fer (Mulhausen à Thann, loi du 17 juillet 1837, Lux) et sur les lignes de navigation à vapeur (Nantes à Paimbœuf, fin 1836, Salles). En mai 1840, la Direction des postes autorise l'installation d'une caisse mobile à bord du vapeur transportant les dépêches entre Le Havre et Caen, ce qui pourrait bien être la première boîte aux lettres mobile en France (Salles).


gallica.bnf.fr

          Dès le mois de février 1831, des bateaux à vapeur effectuent un service régulier entre La Bouille (Seine-Inférieure) et Rouen, dont l'Emma et le Louis-Philippe de la compagnie Pauwels et Leroy (Almanach du Commerce de Paris, 1833). Ils sont bientôt concurrencés par ceux de la compagnie des Conoïdes, dont le vapeur l'Union de cinquante-trois mètres est mis à l'eau en février 1836 (Moniteur universel, 19 février 1836). En 1839, cette compagnie assure quatre rotations quotidiennes au départ du quai de la porte Saint-Eloi à Rouen (Spalikowski). En 1843, elle prend le nom de L'Union, compagnie de bateaux à vapeur entre Rouen et La Bouille (Collection des lois, Duvergier).


Bateau à vapeur à Croisset, Albert Lebourg

          Il est certain que les bateaux à vapeur se sont chargés du transport des dépêches postales, dans un premier temps entre la direction des postes de Rouen et celle de Grand-Couronne (Instruction générale des postes, 1832, voir Nory), puis entre Rouen et La Bouille après l'ouverture d'une distribution dans cette localité. Des facteurs ruraux attachés à ces trois établissements effectuent la levée des boîtes aux lettres et la distribution du courrier dans les communes rurales riveraines de la Seine, empruntant au besoin la ligne des vapeurs (Archives de Rouen, Nory). En 1861, un rapport du directeur des postes de la Seine-Inférieure à son préfet (Conseil général, juillet 1861, Nory) fait état de l'installation depuis le début de juin, à chaque station des bateaux à vapeur faisant le service entre La Bouille et Rouen, d'une boîte aux lettres mobile levée deux fois pas jour. Un courrier antérieur en date du 27 mai évoque un marché conclu entre l'Administration des postes et la compagnie des vapeurs L'Union pour le relevage des boîtes aux embarcadères de Sahurs, Hautot, Val-de-la-Haye, Grand-Couronne et Dieppedalle (commune de Canteleu). Deux ans plus tard, un rapport du directeur des postes au Conseil général fera savoir que ce service, initialement réservé à la saison d'été, a été étendu à toute l'année. Des boîtes sont aussi installées à Biessart et Croisset (commune de Canteleu). A priori, les boîtes ne sont relevées que dans le sens montant. Elles doivent être décrochées de leur support, ouvertes et vidées par la recette de Rouen, et raccrochées vides lors du voyage descendant suivant.


Taxe locale de boîte mobile - Roumet, 74/665

          Durant les premières années, aucun marquage particulier ne vient frapper les lettres levées dans ces boîtes fluviales. On ne peut donc trouver leur origine qu'à la lecture de la correspondance, éventuellement. Il existe pourtant, depuis les années 1858/1859, des timbres à date circulaires portant le nom du bureau releveur et l'indication BOITE MOBILE (Salles), mais ils ne semblent pas avoir été utilisés à Rouen avant 1865, date à laquelle la circulaire n° 393 (Bulletin mensuel des postes n° 117) prescrit l'installation de boîtes aux lettres sur les voitures des entrepreneurs de transport de dépêches. De telles boîtes sont installées sur les voitures circulant entre La Bouille et Rouen par Grand-Couronne, qui desservent Moulineaux, Petit-Couronne, Grand et Petit-Quevilly (Nory). Là encore, en l'absence d'identification du lieu de départ, il est impossible de distinguer les lettres levées dans les boîtes fluviales de celles levées dans les boîtes d'entreprise. En janvier 1867, une nouvelle circulaire (n° 502, Bulletin n° 137) prescrit le remplacement du timbre à date circulaire de boîte mobile par un nouveau timbre ovale aux initiales BM.


Croisset à Rouen, boîte mobile fluviale (Nory)

          Malgré l'ouverture d'une ligne de chemin de fer entre Elbeuf et Rouen, sur la rive gauche de la Seine, les boîtes mobiles fluviales ont continué de servir jusque dans les années 1883/1886, au moins. Une note de la direction des postes au préfet de la Seine-Maritime, datée de décembre 1883, donne le détail, inchangé, les boîtes installées sur le passage des vapeurs de la compagnie Bertin, nouvel entrepreneur (Nory). Nory montre en exemple une lettre du 20 août 1886, du Croisset pour Rouen, frappée de l'ovale BM.


La Cloche d'argent, 1er avril 1883

          Curieusement, la ligne des vapeurs postaux circulant entre La Bouille et Rouen n'est pas évoquée, à notre connaissance, par Raymond Salles. C'est peut-être ce qui explique que les lettres de ces boîtes fluviales, assez rares, soient restées largement méconnues des collectionneurs.

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Sources
P. Lux, La poste ferroviaire, E.T.P.F.
R. Salles La poste maritime française
E. Spalikowski, La Bouille, Maugard, Rouen 1886.
G. Nory et al., Seine-Inférieure, G.P.H.N. 1989.

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